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l’homme et la terre. — seconde rome

des barbares à l’adoration en se servant de moyens artificiels : à partir du neuvième siècle, les courtisans s’ingénièrent à machiner des scènes de féerie qui devaient paraître surnaturelles aux yeux des étrangers. A l’entrée d’un envoyé dans la salle de réception, on entendait une musique mystérieuse dont les accords accompagnaient tous les mouvements de la personne divine : à un moment l’empereur apparaissait comme suspendu en l’air et nimbé d’une auréole. Des lions d’or se dressaient et rugissaient sur leurs socles, le feuillage d’arbustes en métal précieux s’agitait comme d’un frisson et le chant des oiseaux résonnait dans les branches. Cependant ces mêmes princes, devant lesquels leurs sujets tombaient en adoration et qui faisaient périr les malheureux coupables de les avoir touchés en leur sauvant la vie, pratiquaient aussi des simagrées d’humilité chrétienne. Le jeudi saint, ils lavaient les pieds aux pauvres et sur leur dalmatique dorée portaient une rakakia, sachet rempli de terre qui devait leur rappeler qu’eux aussi n’étaient que poussière et retomberaient en poussière[1].

Entretenus par leurs courtisans dans le vice et l’oisiveté, la plupart des empereurs n’avaient à s’occuper que des scandales de cour et des arguties théologiques. Chacun d’eux se croyait de force à discuter les subtilités du dogme, à sonder la profondeur des mystères. Ils aimaient à réunir les conciles, à dicter leurs votes aux évêques. Mais comme il arrive toujours, ceux qui croyaient guider en leur qualité de « maîtres du monde » ne faisaient en réalité que subir la pression d’en bas. La société chrétienne cherchait alors à se connaître elle-même, à se rendre compte de son dogme, à savoir nettement ce qui la distinguait de la société païenne et de la philosophie. Or, à cette époque, les peuples de l’Occident, entraînés dans le mélange confus des races qui s’entre-choquaient, étaient incapables de prendre conscience des grands problèmes : au milieu de ce tourbillon, ils ne se reconnaissaient pas. C’est en Orient, et surtout en Égypte, en Syrie, dans l’Asie Mineure, que prêchaient et écrivaient les « Pères de l’Église » constituant l’orthodoxie. Parmi les noms de ces élaborateurs du dogme chrétien, le plus fameux et, en même temps, le plus digne de la mémoire des hommes est celui du moine et évêque Jean Chrysostome ou « Bouche d’or » qui aimait les pauvres et sut rester

  1. Godefroid Kurth, Les Origines de la Civilisation moderne, t. I, p. 287.