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l’homme et la terre. — arabes et berbères

grand État mondial pour reprendre la vie libre et fière dans la petite tribu des aïeux. Chacune des peuplades primitives reprit son autonomie, ses traditions, sa loi du sang, même contre la famille du prophète. Et de l’immense butin de connaissances et d’idées recueillies dans le monde étranger, les Arabes ne rapportaient rien dans leur patrie : tels ils étaient partis du Nedjd ou du Hedjaz, et tels ils revenaient, insoumis et aristocrates.

D’ailleurs la foi qui avait armé les Arabes pour la guerre sainte les condamnait par cela même à la résignation en cas de désastre. Au fond, la religion du mahométisme pur, sous sa forme monothéiste par excellence : « Il n’y a de Dieu que Dieu », est la foi aveugle à l’invincible destin. Tout ce qui s’accomplit est irrévocable. Tout événement est fatal, décidé de toute éternité dans l’aveugle vouloir de celui que nul ne peut fléchir. Dans l’aimable polythéisme, tout a son Dieu, jusqu’au buisson de roses : on peut toujours espérer, car le désespoir même a ses divinités. Et dans le sévère christianisme, surtout sous sa forme catholique, chaque saint est un intercesseur : le malheureux peut s’adresser à l’armée des saints, même à quelque pouilleux divinisé qui se grattait sur un fumier, et s’il verse une larme, les anges peuvent la recueillir et la porter comme un diamant aux pieds de la Vierge toujours pure.

Ainsi le caractère de l’Arabe proprement dit, tel que l’avait déterminé la contrée d’origine, n’était point celui du guerrier de profession. Après ses marches triomphantes, dues à l’exaltation de la foi religieuse, le fils du désert ne se trouvait plus dans son rôle naturel au milieu des nations agricoles, et c’est pourquoi, abandonnant les armées que commandaient d’authentiques descendants du Prophète, il réintégra sa péninsule originaire. Ainsi s’explique ce fait que la conquête arabe, accomplie par les compatriotes de Mahomet, n’eut de durée que dans les pays ressemblant géographiquement à l’Arabie par les monts rocheux, les déserts de sable et de pierre, les eaux rares et les groupes d’oasis : les conquérants ne firent souche et ne se perpétuèrent à l’état de tribus que dans les contrées analogues aux leurs, celles qu’on pourrait appeler les « Arabies extérieures ». En Perse, en Syrie, en Égypte même, ils ne furent que des étrangers, tandis que, bien loin vers l’ouest, par delà le désert de Libye, et jusqu’à l’océan Atlantique, ils se retrouvèrent chez eux près des dépressions tunisiennes (sebakh), et sur