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l’homme et la terre. — arabes et berbères

Il semble donc au premier abord que les conditions géographiques de l’Iranie n’avaient exercé aucune influence sur la transformation religieuse de la nation ; néanmoins il faut constater que le mahométisme persan n’est pas identique à celui des autres nations converties à l’Islam, et les frontières des religions coïncident presqu’exactement avec les limites d’État. Les contours du royaume de Perse et ceux du Chiat-Ali, c’est-à-dire du territoire habité par les sectateurs d’Ali, offrent la même forme et les mêmes dimensions. C’est que la conquête n’a pas changé les peuples aussi profondément qu’il y paraît. Si les vaincus sont obligés d’adopter un culte étranger, ils ne le font qu’en apparence : jamais ils ne le reçoivent sous la forme imposée ; tout au plus, par suite de l’avilissement dans lequel ils sont tombés, répètent-ils des mots et des formules qui pour eux n’ont pas de sens. Ce qui devient alors leur véritable religion n’est autre chose que l’amas des superstitions antiques badigeonnées à nouveau : le mysticisme, l’extase, la magie refleurissent, et les dogmes récemment introduits restent dans l’arsenal des temples, comme des armes inutiles.

D’ailleurs l’individualité de la Perse comme être géographique et historique nettement délimité était trop forte pour que la religion musulmane du pays ne réussît pas à prendre une forme patriotique : toute occasion devait être bonne pour atteindre ce résultat. Le khalife Ali, gendre et neveu du prophète, ayant donné pour épouse à son fils Hussein une fille de Yezdidjerd, le roi détrôné, la Perse se trouvait ainsi gouvernée par une famille appartenant à la fois au sang de Mahomet et à celui des Sassanides. Mais Hussein fut massacré dans la mosquée de Kufa, non loin de l’Euphrate, puis on égorgea, avec tous leurs parents et amis, les deux enfants qui devaient représenter en Perse la dynastie nationale. Le pouvoir changea de mains, et les Perses, trop faibles pour se soulever, durent accepter de nouveaux maîtres ; mais la légende s’étant emparée de la mémoire des deux enfants, Hussein et Hassan, transforma graduellement la scène du meurtre en une sorte de sacrifice divin autour duquel se constitua la forme spéciale du mahométisme persan. Le nombre des Sunnites, c’est-à-dire de ceux qui se conforment à la règle ou « Sunna » diminua rapidement, et maintenant on n’en trouve guère en Perse que parmi les étrangers, Tartares, Kurdes, Arabes, Béloutches, Afghans et Turkmènes.