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l’homme et la terre. — arabes et berbères

sures à la chaîne. La steppe de Tadmor, au sud de la grande courbe de l’Euphrate, fut choisie comme lieu de l’opération. Deux groupes de deux astronomes chacun, ayant fixé par la hauteur du pôle la position de deux points espacés de deux degrés, marchèrent à la rencontre l’un de l’autre, ayant chacun à mesurer la longueur d’un degré. Puis un travail analogue se répéta au nord de l’Euphrate, dans la plaine de Sindjar. La moyenne des deux opérations donna 56 « milles » et 2/3 pour la longueur du degré. Suivant la valeur que l’on donne au mille arabe, l’erreur commise par les astronomes d’Al-Mamun serait plus ou moins forte, d’un onzième au plus d’après Peschel, d’un cinquantième seulement d’après de Khanikov[1]. Ainsi les Arabes avaient serré la vérité de plus près que le savant d’Alexandrie, puisque celui-ci s’était trompé d’au moins un septième sur la véritable longueur du degré[2].

Parmi tous les khalifes, celui dont le nom prit le plus grand lustre dans l’histoire d’Orient est Harun-al-Rachid, ou Harun-er Rachid, le cinquième souverain de la dynastie des Abbassides, qui vivait à la fin du huitième siècle et au commencement du neuvième et fut Commandeur des Croyants de 164 à 187 (années de l’hégire). Les savants, les écrivains, les poètes, les conteurs et les marchands venus de toutes les parties du monde se pressaient autour de son palais, dans la grande ville de Bagdad et, durant leurs voyages, portaient sa gloire au loin. Des relations par ambassade avec Charlemagne, le puissant empereur d’Occident, valurent aussi au fameux khalife d’être célébré dans tous les pays chrétiens. On aurait pu croire, d’après tous les récits qui se propageaient de la mer du Sud à l’océan d’Europe, que Harun était lui-même un génie d’intelligence et de sagesse épandant à flots sur son peuple la justice, le savoir et le bonheur. Ainsi qu’il arriva constamment jusqu’à nos jours dans les sociétés hallucinées dont nous faisons partie, les gloires individuelles se fondent dans celle du personnage central, que les centaines et les milliers de rayons convergents transforment en une sorte de dieu. C’est ainsi qu’Horace et Virgile aidèrent à l’apothéose d’Auguste, que Louis XIV profita du génie de Corneille et de Racine. Or la pensée ne pouvant mûrir en œuvres qu’après une longue évolution, il advient que la floraison d’une époque naît d’une

  1. Oscar Peschel, Geschichte der Erdkunde, pp. 121, 123.
  2. E. H. Bunbury, History of Ancient Geography, 1 volume, p. 625.