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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

On y voyait d’étonnants contrastes de culture et de sauvagerie primitive.

La destinée de l’Irlande se lit dans la forme géographique de son territoire. Considérée seulement dans ses contours et non dans son relief, l’ile parait au premier abord constituer un ensemble organique d’une grande unité. Le quadrilatère presque régulier des rivages pourrait faire supposer que la masse insulaire est bien pondérée dans son architecture générale et présente du nord au sud un domaine favorable au développement normal d’une société politique. Mais il n’en est pas ainsi. L’Irlande est en réalité non pas une île mais un archipel. Une large plaine médiane, se déroulant de l’est à l’ouest, de la baie de Dublin à celle de Galway, coupe la contrée en deux moitiés, qui jadis communiquaient difficilement, à cause des lacs, des marais, des tourbières remplissant toutes les parties basses. Cette plaine, dont le plus haut seuil ne dépasse pas 75 mètres, se ramifie au nord et au sud par d’autres dépressions formant comme autant de détroits entre les massifs qui s’élèvent à plusieurs centaines, même à un millier de mètres. Des tourbières, des marais tremblants, des lacs rendent assez pénible l’accès de ces divers groupes montagneux, d’autant plus que de vastes espaces intermédiaires restent complètement inhabités : des marches séparent ainsi les divers districts de peuplement, que les vicissitudes de l’histoire tantôt rapprochèrent, tantôt éloignèrent les uns des autres. Les frontières de ces districts changèrent souvent pendant les guerres de l’époque féodale, mais on peut dire que, dans leur ensemble, les quatre anciens États devenus maintenant des provinces, le Connaught, le Munster, l’Ulster et le Leinster, ainsi que le Meath, simple comté, correspondent assez bien aux divisions naturelles du territoire insulaire ; chacun a son massif ou son groupe de massifs qui constituait un domaine ethnique et politique particulier.

Sans aucun doute les contrastes primitifs du sol et du relief durent se répercuter dans les populations elles-mêmes aux époques de la préhistoire et de la protohistoire ; en tous cas il est certain que, pendant les âges historiques, le caractère de l’immigration différa singulièrement suivant les diverses provinces. Les rocs abrupts du Connaught, tournés vers l’immense océan solitaire, ne pouvaient recevoir aucun étranger : la population native, que nul élément du dehors ne renouvelait, devait donc conserver ses vieilles coutumes plus longtemps que les habitants des autres provinces. Les rivages du Munster, échancrés de ports nom-