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ouïgour et seldjoucides

seuil du Pamir, convergent au coude de Lan-tcheu, sur le fleuve Jaune, et de là rejoignent la Fleur du Milieu.

Mais d’autres Turcs, amenés par des migrations antérieures sur le versant occidental des monts Célestes, dans la contrée qui de leur nom fut longtemps appelée Turkestan, avaient l’espace librement ouvert devant eux dans la direction de l’occident, et ils se sentaient attirés par la civilisation des Arabes, comme les Normands l’avaient été par celle des chrétiens. C’était la horde de Seldjuk, les Seldjoucides. Convertis à l’Islam, non celui que professaient leurs voisins, les Persans chiites, mais la religion orthodoxe de La Mecque, ils n’en firent pas moins la guerre à leurs frères en la foi. En 1040, les Turcs abordent le plateau d’Iran par la trouée de Herat et rejettent vers l’est la dynastie des Ghaznavides dont le représentant le plus illustre, le sultan Mahmud, venait de mourir (1033) après avoir introduit dans l’Inde, jusqu’aux bords de la Gangâ, la religion du prophète. En 1048, les Seldjoucides se heurtent en Arménie aux Grecs et les repoussent ; en 1055, Toghril, petits-fils de Seldjuk, entre à Bagdad et traite le khalife, successeur de Mahomet, à peu près comme en agissent, à la même époque, les Tancrède envers le successeur de saint Pierre[1]. Jérusalem, Damas, l’Anatolie (1087) se soumettent aux Turcs, et c’est devant un empire formidable, défendu par des guerriers auxquels a été infusé un sang nouveau, que se présenteront les chrétiens pour conquérir les Lieux saints. Melick-chah (1073-1092) se fait obéir de Kachgar à Nicée et de la Caspienne à l’Arabie Heureuse. Ispahan était devenue la capitale d’un État beaucoup plus considérable que celui de Constantinople.

A en juger par les inscriptions des monuments bâtis par des sultans seldjoucides, ceux-ci étaient de redoutables maîtres. Sur la porte d’un han ou caravansérail, le voyageur von Luschan a déchiffré ces paroles : « J’ai donné l’ordre de bâtir ce han béni, moi le sultan sublime, le haut Roi des rois, qui tiens les peuples par la gorge… »[2] ! Ces dominateurs insolents étaient pourtant de grands amateurs de pompes et de fêtes et traînaient après eux des savants, des lettrés, des poètes et des chanteurs, des sculpteurs et des architectes : Ouïgour, Iraniens, Syriens réputés dans leur pays se rassemblaient

  1. Leopold von Ranke, Weltgeschichte, achter Theil, p. 32.
  2. Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, 1897, n° II, p. 357.