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l’homme et la terre. — orient chinois

faisant voler les pierres, le Tibétain apprend à se créer par l’industrie des ressources variées. Depuis les temps immémoriaux, ces tribus pratiquent l’agriculture et l’élève du bétail, connaissent les mêmes métiers que leurs voisins de l’Inde et de la Chine, et depuis longtemps ont ajouté les métaux, le fer, le cuivre, l’or aux outils en pierre que fabriquaient leurs ancêtres. C’est même par leurs mines d’or qu’ils apparaissent pour la première fois dans l’histoire, mais singulièrement défigurés par la légende, il est vrai, puisque Hérodote nous les montre aidés dans leurs travaux d’excavations par des fourmis presque aussi grosses que des chiens (Livre III, 102).

Dans leur âpre lutte pour l’existence, les Tibétains reçoivent beaucoup plus qu’ils ne donnent : c’est par l’immigration que le pays s’est peuplé en ses régions habitables ; c’est par l’apport des industries et des idées étrangères qu’il s’est enrichi et civilisé ; mais les habitants restent séparés de la Chine par des contrées trop montueuses, trop coupées de défilés profonds, trop difficiles à parcourir pour avoir pu exercer de ce côté la moindre pression politique ; peu nombreuses sont les peuplades d’origine tibétaine qui sur le pourtour du plateau aient hasardé de temps en temps comme les Mongols et les Mandchoux des incursions dans les basses terres avoisinantes. Au contraire, ces montagnards indigènes sont pour la plupart refoulés de plus en plus vers les vallées élevées de l’intérieur par suite de l’immigration pacifique des agriculteurs chinois.

Même évolution ethnique s’est accomplie dans le vaste hémicycle de la Chine proprement dite, partout où des montagnes, chaînes ou massifs, abritèrent longtemps des peuplades différentes de la nation chinoise par l’origine, les mœurs, le genre de civilisation. On leur donne en général le nom de Miao-tse, — mot qui signifie « hommes germés du sol », aborigènes ; mais pour indiquer leur grand nombre, on les désigne aussi par les appellations de « Quatre-vingt-deux Tribus » ou de « Six Cents Familles ». Les Chinois emploient en outre le terme d’I-Jen, c’est-à-dire « Peuples étrangers », forme analogue à celle d’ « Allophyles » que les Russes appliquent à toutes les races non slaves de leur immense domaine. Suivant le milieu, les conditions du sol et du climat, la puissance relative ou la faiblesse de ces nations ou tribus encore isolées du monde chinois, on observe toutes les transitions possibles entre l’état de sauvagerie des I-Jen les plus