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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

lui vint ni de ses écrits ni de ses discours mais de l’amour d’Héloïse.

D’ailleurs, le mouvement des idées ne fut point la raison principale qui détacha de l’Eglise officielle des masses populaires considérables, surtout en Italie et dans le midi de la France, et fit naître ainsi des communautés hérétiques : la vraie cause de ces insurrections fut, dans la plupart des cas, la révolte de la morale publique contre un clergé simoniaque, rapace et impur. Les prêtres, ambitieux d’atteindre la toute-puissance, se croyaient déjà bien près de pouvoir l’exercer, et par leurs caprices, leurs violences, leur âpreté au pillage, méritaient bien les virulentes paroles que leur adressaient les saint Bernard et autres défenseurs désintéressés de l’Eglise. Telle hérésie, que l’on attribue à l’influence de quelque tradition secrètement transmise de famille en famille, ne provient que du renvoi de prêtres sacrilèges, devenus intolérables à leur troupeau. Les simples d’esprit, tout en gardant leur foi naïve, se faisaient hérétiques par le fait même de choisir pour leurs guides et conseillers naturels les vieillards laïques les plus respectés de la commune[1]. La suppression du sacrement, la rupture de la filiation ecclésiastique suffisent en effet pour détacher du tronc vivant de l’Eglise tous les rameaux qui en sont émondés. Une autre cause indirecte de la formation des hérésies doit être attribuée aux conditions géographiques des âpres contrées des Alpes et du centre montagneux de la France. Certaines contrées, fort difficiles d’accès, n’étaient point visitées par les prêtres, résidants des basses vallées ou de la plaine ; des générations entières s’écoulaient sans rapports directs entre les communautés perdues au sein des montagnes et les sièges épiscopaux dont elles dépendaient officiellement. Lorsqu’à la suite d’un synode ou de quelqu’expédition militaire, le contact se produisait entre les petits groupes de montagnards évangéliques et les représentants du saint Père, l’écart de doctrine qui s’était produit pendant la durée des âges se révélait soudain, au grand scandale des prélats.

C’est ainsi que l’on peut expliquer par exemple la formation du culte professé dans les « Vallées Vaudoises » sur le versant piémontais et sur les bords de la haute Durance. Or, à cette époque, aussi bien que de nos jours, un grand nombre d’émigrants descendaient

  1. Henry Charles Lea, Origines et Procédure de l’Inquisition, tome I, Trad. par Salomon Reinach.