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l’homme et la terre. — orient chinois

de gardien des tombeaux. Tous ses aides, gardes champêtres, arpenteurs ou écrivains, sont également nommés par les chefs de famille. Les petites agglomérations urbaines n’ont qu’un seul conseil municipal, tandis que les grandes cités en ont autant que de quartiers ; mais plus la ville est importante, plus l’autonomie communale y est affaiblie par l’intervention du gouvernement dans les élections.

La logique des idées eût voulu que le vote des chefs de famille devînt également la source du pouvoir pour l’organisation des provinces et de l’État. En théorie, il en est bien ainsi, et dans tous les traités qui, depuis Confucius, ont été rédigés sur « l’art de gouverner les hommes », l’Empereur est toujours représenté comme le « Père et la Mère » de la grande famille chinoise ; celle-ci, plus de deux mille ans avant les Saint-Simoniens, avait son Ma-ba qui, dans ses prières publiques et ses proclamations, ne manquait jamais d’insister sur la responsabilité absolue que lui impose le bonheur de son peuple : Chacun de ses faux pas, nous dit-il, peut déranger l’empire, chacune de ses mauvaises pensées peut corrompre l’univers. Tout désastre national l’oblige à s’accuser publiquement, mais, par une contradiction permise seulement à un personnage de cette importance, ce n’est pas lui qui se suicide dans les malheurs communs, ce sont ses généraux et ses ministres. Enfin depuis longtemps, ainsi que le dit du Halde, « le gouvernement ne subsiste que par l’exercice du bâton ». Seul, l’empereur-laboureur Chun aurait réalisé l’idéal des agriculteurs chinois, mais exista-t-il jamais autrement que par un phénomène d’anthropomorphisme ?

La morale officielle du respect absolu de la famille et de l’obligation constante du travail n’est donc vraie que pour la masse des « fils du sol », représentants de l’ancienne classe, mais tous ceux auxquels leurs privilèges, leur rang ou leur fortune permettent de vivre à leur guise se sont créé depuis longtemps une morale plus large et plus facile : ils ne furent plus tenus d’observer une stricte monogamie et se dispensèrent si bien de la pratique du travail qu’ils laissèrent pousser leurs ongles, montrant leur incapacité d’ouvrer de leurs dix doigts, et mutilèrent les pieds de leurs femmes, les rendant impropres désormais à vaquer aux soins du ménage.

Ainsi l’inégalité des classes, introduite par la mainmise des puissants sur la propriété commune, se manifesta-t-elle de la manière la