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l’homme et la terre. — la révolution

des divers États et de leurs frontières changeantes, planaient, comme dans les légendes antiques, les deux esprits qui se disputent le monde.

La France, comme nation, était alors dans une situation qui semblait absolument désespérée. Dans l’ouest, les prêtres et les gentilshommes avaient réussi à soulever les paysans contre les bourgeois des villes, qui, de leur côté, s’étaient rangés avec enthousiasme au nombre des amis de la Révolution. Ainsi, les vieilles rancunes, auxquelles s’ajoutait chez les rudes cultivateurs le juste mécontentement causé par l’arrogante centralisation parisienne, avaient fait surgir de nouveau la guerre qui sévissait autrefois entre les villes latinisées, christianisées, et les villageois restés païens. De siècle en siècle, l’écart s’était maintenu ; quoique les anciens adorateurs des pierres levées eussent appris à se prosterner dans les églises, l’inimitié avait persisté entre les deux castes. La haine de la gabelle et autres impôts, qui s’était amassée dans les cœurs de la paysannerie trouvait maintenant à s’exhaler contre les « bleus », et l’annonce d’une levée de 300 000 hommes par conscription mit le feu aux poudres. En réalité, les « chouans » étaient fédéralistes, et ne faisaient que satisfaire leur vieil instinct républicain en allant « chasser la perdrix » en compagnie de leurs hobereaux, à demi paysans comme eux. Cadoudal dit le mot juste à un officier nouvellement débarqué : « L’ami, allez dire aux princes qu’on se bat ici pour mieux qu’eux ».

Le désordre chaotique de la province avait laissé à la guerre le temps de se préparer, et il fut d’autant plus difficile de réprimer le soulèvement, surtout en Vendée, que la nature du pays était des plus propices aux embuscades et aux surprises. Un labyrinthe d’enclos dont les indigènes connaissent seuls les détours, des collinettes coupées de plis et de vallons, sans aucun observatoire naturel d’où l’on puisse avoir une vue d’ensemble sur la contrée ; mille, cent mille défilés formés par les chemins creux où l’on bute contre les pierres, où l’on patauge dans la boue, où l’on s’enlize dans les marais ; partout des champs épars, des prés, autant de réduits fortifiés, dissimulés par des haies d’arbres aux branches entremêlées ; partout des meurtrières entre les feuilles d’où l’on peut tirer sans être vu ; de toutes parts des signaux imitant les sons de la campagne, le chant lointain d’un oiseau, un battement d’ailes, le bec du pivert qui sonde les troncs d’arbres. Ces bruits rassurants sont autant d’appels à la mort.

Puis, de l’autre côté de la France, ce sont les rumeurs de la grande