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l’homme et la terre. — contre-révolution

prisonniers qui, entrés dans la vie civile des Slaves, furent des civilisateurs, des porteurs d’idées. Nombre de révolutionnaires russes de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle racontent la part considérable qu’eurent ces prisonniers français sur l’émancipation de leur pensée.

L’empire se hâtait vers la fin. La France n’avait guère plus de soldats valides, et maintenant on recrutait les éphèbes pour les grandes tueries. Les peuples, voyant baisser l’étoile de Napoléon, se révoltaient successivement contre lui. En pleine bataille, les Saxons changèrent de rangs : ils l’avaient aidé à se défendre, ils aidèrent à le combattre et à le poursuivre. Le théâtre de la lutte fut reporté en France même, Paris fut occupé et l’empereur enfermé dans l’île d’Elbe ; mais la cage de l’aigle était trop rapprochée de son ancienne aire : il s’en échappa bientôt, et la France dévastée, exsangue, dépourvue de toute volonté, n’ayant plus une parole à dire, quoiqu’il s’agit de sa destinée même, laissa Bonaparte reprendre le pouvoir, comme elle avait permis que Louis XVIII le reçût des rois étrangers moins d’une année auparavant et comme elle laissa celui-ci le ramasser de nouveau cent jours après.

La nation entière était vraiment paralysée, impuissante contre les hordes ennemies, qui venaient de l’Orient, traînant avec elles jusqu’à des tireurs d’arc, Bachkir et Kalmut[1] ! Et pourtant, après le désastre de Waterloo, quand les garnisons étrangères s’établirent pour la deuxième fois dans les citadelles françaises, on s’aperçut que l’esprit de la Révolution avait continué souterrainement son œuvre, puisque le monarque comprit que tout d’abord il devait se présenter à ses nouveaux sujets en tenant à la main une charte parlementaire. Il prétendait l’octroyer gratuitement, mais l’eût-il donnée s’il ne s’y fût senti forcé ?

La restauration de la dynastie dite légitime des Bourbons, ainsi que la déposition de toute la famille ou du clan Bonaparte, même l’exécution de l’un d’eux, le roi de Naples, Murât, révélaient le plan des rois qui disposaient maintenant du sol de l’Europe : ils voulaient, envers et contre tous, rétablir l’état politique et social du « concert » des nations tel qu’il existait avant la prise de la Bastille ; ils entendaient que la Révolution française, que l’empire même n’eussent pas laissé de trace.

Après sa victoire, si chèrement achetée, qui la laissait sous le fardeau

  1. Jean de Bloch, La Guerre, t. I. Description du mécanisme de la guerre, p. 21.