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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

Scandinaves vers le Minnesota, les Portugais vers le Massachusetts, tandis que les Italiens du sud et les Juifs s’établissent à New-York. Malgré les efforts constants des gouvernants américains, il se forme des « colonies » qui, au taux d’augmentation actuelle, risqueraient dans telle et telle circonstance de devenir un danger pour la Grande République. Néanmoins, le brassement continuel des populations, l’éducation des enfants en une langue unique, et surtout l’action persistante d’un même milieu géographique font de la nouvelle Europe un groupement humain moins hétérogène que celui de l’Ancien Monde.

A l’extérieur, les Américains du Nord jouissent d’un prestige immense. Ils n’ont pas besoin pour cela de tenir sur pied de formidables armées permanentes comprenant plusieurs centaines de mille hommes, avec leur attirail de guerre ; cependant, eux aussi se laissent aller aux fantaisies, aux glorioles et aux dépenses sans raison de la « paix armée » ; eux aussi veulent avoir une flotte qui leur permette de hisser fièrement leur drapeau dans toutes les mers du monde. Mais, à leur armée, à leur flotte, ils peuvent à la première alerte, et grâce à de prodigieuses ressources, ajouter des forces écrasantes pour les lancer contre tout ennemi présumé, Allemand, Anglais ou Russe ; à cet égard ils ne sauraient avoir aucune crainte ; au contraire, c’est eux que l’on redoute, que l’on courtise, et, maintes fois déjà, ils ont usé et abusé de leur pouvoir pour faire tourner à leur profit les événements contemporains. L’épargne annuelle de leur agriculture, de leur industrie et de leur commerce, réserve dans laquelle s’accumulent incessamment les milliards, dépasse celle de tous les autres pays du monde : par leurs moissons, leurs mines, leurs houillères, ils sont au premier rang parmi les nations de la Terre, et — même pour certains grands éléments de la richesse publique, tels que le développement des voies ferrées — ils sont près d’égaler à eux seuls tous les États réunis du monde entier. Cette préséance matérielle en tant de branches diverses a favorisé la maladie particulière aux Américains, que l’on a qualifiée de « Kilométrite »[1] : en toute chose qui peut se mesurer, ils se vantent d’avoir atteint le « record ». Leurs trains et leurs bateaux, leurs chevaux et leurs chiens de chasse sont les plus rapides, leurs maisons sont les plus hautes et leurs journaux emploient la plus grande masse de papier ! Il est tout naturel

  1. Bryce, American Commonwealth.