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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

plus grande partie de la région insulaire et péninsulaire, malgré la différence des nationalités qui la peuplaient, Albanais et Hellènes. De même pour l’Italie : il n’est pas de terre au monde, à l’exception des îles de l’Océan, qui soit mieux délimitée. Une, au point de vue géographique, cette péninsule que « ceignent les Alpes » a fini par devenir une au point de vue national, quoique la population soit composée des éléments les plus divers : Gaulois, Etrusques, Grecs, Sicules, Albanais, mêlés à un fond aborigène d’origine inconnue ; incontestablement la structure de la péninsule a beaucoup aidé à fortifier ce que l’on appela, sans trop s’en rendre compte, le « principe des nationalités ».

Territoire bien autrement vaste que les péninsules méditerranéennes de l’Europe, le continent de l’Amérique méridionale paraît aussi destiné à devenir une grande individualité politique, et, parmi les causes de cette évolution, l’unité géographique de la contrée a certainement une importance de premier ordre. Est-il masse planétaire plus nettement dessinée et plus simple dans ses traits ? A son angle nord-occidental, un mince pédoncule de terre la rattache en apparence au continent du nord, mais déjà en deçà de cet isthme, une large plaine fluviale, souvent inondée, celle de l’Atrato, constitue la vraie zone du pourtour, plus difficile à traverser qu’un bras de mer. L’Amérique du Sud est donc un monde tout à fait à part, auquel les terres de Panama, de l’Amérique Centrale, du Mexique, également peuplées de nations hispano-américaines, ne se rattachent encore commercialement et politiquement que par la voie de mer. L’immense étendue continentale du sud américain, avec son puissant bourrelet des Andes et ses prodigieux bassins fluviaux entremêlant leur chevelu de rivières affluentes, est encore presque vide d’habitants, comparativement à sa surface ; mais, si éloignés que soient les groupes ethniques les uns des autres, ils se sentent plus ou moins consciemment unis par le lien d’origine, et, qu’ils parlent le portugais ou le castillan, tous, Brésiliens, Argentins, Chiliens, Péruviens ou Colombiens, se disent volontiers Américains du Sud dans leurs voyages en pays étranger. Déjà, lors de la guerre de l’Indépendance, les colonies insurgées avaient tenté de s’unir en une vaste fédération, mais les intérêts étaient encore si divergents et les moyens de communication si lents et difficiles que toute union politique devait être purement fictive. On vit même dans chaque république distincte, Colombie, Pérou, Argentine et autres, les divers foyers de la vie publique, de Cartagena à