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puissance du clergé

une révolution en ces pays souvent agités où l’on ne retrouve l’influence directe du clergé agissant sur les masses profondes pour les faire combattre à son profit. En réalité, toutes les luttes intestines qui se sont produites dans les pays de l’ancien empire des Inca, Bolivie, Pérou, Ecuador, ont eu les intérêts du clergé parmi les principaux éléments enjeu, en même temps que les ambitions militaires, les conflits de castes et les rivalités provinciales. Quand les prêtres l’emportent, ils en profitent aussitôt pour établir un gouvernement théocratique où, sous des noms de civils ou de généraux, le pouvoir est entièrement dans leurs mains. Aussi, durant son beau temps clérical, la « république » de l’Ecuador put-elle être considérée comme le modèle de l’arrêt, du conservatisme absolu. L’instruction, et par conséquent l’hispanification des indigènes, sembla complètement supprimée. Car là est la question de vie ou de mort. Si les naturels américains se confondent par le croisement et par l’influence de l’école avec les descendants des Européens et sont entraînés à leur tour dans le mouvement de la vie moderne, l’Eglise est par cela même condamnée à perdre sa prise dans le sol ferme, puis à s’évanouir peu à peu comme un rêve.

La Colombie se trouvait en dehors du domaine des Inca, mais elle est peuplée d’autres nations indiennes qui sont encore incomplètement hispanifiées, tout en constituant la part la plus considérable de la population et en exerçant une action très importante dans la vie politique de l’Etat. Là aussi l’intérêt du clergé est de tenir les Indiens dans le paganisme primitif, sous forme à demi raisonnée : c’est ainsi qu’ils ont pu réussir à faire durer un gouvernement qui rappelle à bien des égards les temps du moyen âge. En grand, sur un théâtre beaucoup plus vaste, il y a là un phénomène d’ordre social analogue à celui qu’on observe dans les Flandres, en Bretagne et dans tous les pays d’Europe où l’Eglise et la Révolution se disputent les esprits. D’ailleurs, le résultat sera certainement le même dans les deux parties du monde, et l’évolution morale des Quichua et des Aymara s’accomplira sûrement, quoique lentement. Ils eurent jadis assez de valeur propre pour créer une civilisation originale : ils en retrouveront assez pour s’associer à la culture générale de l’humanité.

Dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, la partie complètement européanisée ne comprend, outre les grandes villes de la zone côtière, que la région transcontinentale appartenant au climat tempéré et dont