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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

de toutes les îles, à l’exception de la plus grande, Viti-Levu, qu’ils avaient entamée déjà lorsque l’Angleterre intervint officiellement pour décider à son profit entre les belligérants. Or, ces envahisseurs tongans agissaient comme fidèles de l’église wesleyenne et chacune de leurs annexions rapportait de nouvelles cotisations ou taxes à la « religion de l’huile », ainsi nommée parce que les missionnaires étaient rétribués en kopra ou en huile de coco. Cette guerre rémunératrice eût-elle été possible si les méthodistes, qui étaient les maîtres absolus, ne l’avaient pas voulue et commandée ? D’autre part, ne serait-ce pas faire injure aux prêtres catholiques des Marquises et autres archipels que de les imaginer inférieurs à leurs émules wesleyens dans le commerce de l’ « huile » et des âmes ? Non, ce furent aussi de rudes compères, assez pour obliger le roi Louis-Philippe, le plus circonspect des hommes, à se brouiller avec l’Angleterre (1843) et pour se faire donner raison dans leurs intrigues de Taïti, au risque de mettre aux prises par contre-coup les deux nations européennes !

Si les missionnaires de tout culte ont fait directement le plus grand mal aux Polynésiens en attisant la guerre civile, n’est-ce pas eux aussi qu’il faut accuser d’avoir été les principaux introducteurs et propagateurs des maladies contagieuses, et, ceci, par leur fausse pudeur, par leur déplorable vertu, que l’on peut vraiment qualifier d’obscènes quand on a le respect de la belle forme humaine ? Ne sont-ce pas tous ces prédicateurs du péché originel qui ont imposé aux indigènes d’avoir à cacher leur saine nudité pour s’affubler d’affreux costumes européens ? Stevenson exprime nettement son opinion que l’épouse du missionnaire protestant est le principal facteur de cette transformation, dont la conséquence a été de dépraver plutôt que de renforcer la vertu de ces beaux représentants de l’espèce[1]. Bullen raconte comment, par une obéissance enfantine aux lubies de fanatiques missionnaires wesleyens, et peut-être aussi par le besoin superstitieux de s’offrir en sacrifice par des règles dures et méritoires, les indigènes de Vau-Vau (ou Vavao, île Tonga) se condamnent à une féroce observation du « Sabbat », telle que, pendant toute la journée, les intervalles de repos entre les services de prières, chants et objurgations pieuses ne durent jamais plus d’une heure. Anxieux, toujours effrayés de commettre quelque infraction à la

  1. R. L. Stevenson, In the South Seas, vol. I, p. 71.