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l’homme et la terre. — l’état moderne

de faire vivre un groupement plus ou moins restreint d’hommes se considérant comme libres au milieu d’une population d’esclaves ou de voisins barbares. Problème insoluble ! car il ne peut y avoir de société vraiment libre tant qu’un seul homme restera asservi sur la planète terraquée. Aussi le citoyen d’Athènes, le plébéien de Rome, le pâtre des vallées pyrénéennes, même les membres de la tribu des Ova-Mbarandu, au sud du Cunene, que le missionnaire Duparquet dépeint comme des républicains intransigeants, vivant en liberté complète, sans chef, sans prêtre qui puisse exiger l’hommage ou l’impôt, toutes ces communautés ont-elles succombé, absorbées par les empires serviles qui les entouraient. Mais on peut dire que ces organisations formulaient des solutions plus originales que les républiques du vingtième siècle, soumises au gouvernement de la haute finance internationale et par elle nivelées au rang des monarchies voisines.

Les différences de titre sont donc sans caractère essentiel, mais il importe de les constater et d’en déterminer l’origine historique. Parmi les cent quatre-vingt millions ou deux cents millions d’hommes qui vivent actuellement en régime républicain, sinon sans maîtres du moins sans rois officiels, il est évident que les Suisses, les Américains, les Français ont été entraînés à prendre le même nom par des circonstances historiques fort différentes. La Suisse, qui fut d’abord un chaos de seigneuries, de fiefs, de communautés champêtres, n’a eu qu’à chercher et à maintenir son équilibre de forces pour devenir une confédération républicaine ; les Etats-Unis ont été poussés par l’entêtement de l’Angleterre à se priver du régime monarchique auquel tout d’abord ils voulaient rester religieusement fidèles ; de même, les républiques hispano-américaines, qui s’étaient annoncées dans l’histoire par le cri de « Vive Ferdinand VII », n’ont pu évidemment en arriver au reniement de la royauté qu’après une longue évolution de guerres et de révolutions intestines. La république lusitano-brésilienne est restée plus longtemps immergée dans les institutions monarchiques, et la demi-douzaine de colonies semi-républicaines de Greater Britain, « Plus Grande Bretagne », la Dominion ou « Puissance » du Canada, la Commonwealth de l’Australie, la « Colonie » du Cap, la Nouvelle-Zélande, etc., ont très ingénieusement accommodé un reste de formes monarchiques à leur constitution républicaine. Seule la France a été amenée bien directement, par la logique des choses, à supprimer