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obstacle à la libre circulation

barrière qui fermait au bétail le libre accès de Gower Street à Londres, soit la rue Bergère, à Paris —, mais de nombreux nouveaux poteaux prohibitifs les ont remplacés. Le prétexte habituel des propriétaires fermant les chemins traversant leur domaine est la préservation du gibier ; aussi la grande propriété a-t-elle le braconnage pour corollaire essentiel. Aux « tableaux » dont s’enorgueillit le chasseur autorisé, s’opposent les hécatombes de son collègue nocturne, les pêches à la dynamite qui dépeuplent une rivière en quelques heures ; mais la sanction légale n’est point la même dans l’un et l’autre cas. En pratique la chasse à l’homme est permise au propriétaire et à ses gardes, tandis qu’on ne pourrait évaluer ce que, durant le dix-neuvième siècle, la poursuite du lapin et de l’ « oiseau sacré » a valu d’années de prison et de bagne, même combien d’individus elle a conduit à l’échafaud.

Il est souvent question parmi les hommes d’Etat et les économistes d’encourager la petite propriété : au Danemark notamment, toute facilité est offerte à l’acquisition d’un domaine de moins de quatre hectares. On pense aussi à l’exemple de la homestead exemption des Etats-Unis qui déclare incessible et insaisissable une petite superficie de terrain par famille ainsi que la maison qu’elle habite, en des conditions qui varient quelque peu d’Etat à Etat. Mais, il est évident que pareil système devrait rester limité à une faible fraction de la population, sinon chaque producteur ayant accès au sol, son indépendance serait assurée, et la conception actuelle de la société ébranlée en sa base même. Aussi peut-on être sûr que rien de semblable n’acquerra force de loi en France, à moins de restrictions telles que l’effet en serait illusoire. Les Islandais sont, parmi les peuples européens, les seuls qui se soient mis en garde contre le monopole des terres : depuis 1884, le propriétaire qui ne cultive pas lui-même son fonds est tenu de le louer à un autre.

On oppose souvent l’Occident et l’Orient comme s’ils étaient absolument différents par le génie et les mœurs, mais il se trouve précisément que les pratiques fondamentales, celles de l’utilisation du sol par la culture, ont suivi de part et d’autre la même évolution : Chinois, Slaves, Germains et Gaulois se sont laissé diriger par les mêmes considérations dans la gérance de leurs intérêts majeurs, ceux qui leur donnent le pain, et les conflits de classes qui se produisirent à ce sujet furent identiques. La Chine eut aussi le mir communal comme la Grande Russie de nos jours, après avoir eu la communauté des terres, sans partage tempo-