Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
l’homme et la terre. — peuples attardés

talus herbeux, au-dessus desquels les arbres entremêlent leurs branches. En bas, à travers le ruisseau, des pierres, jetées de distance en distance, permettent au voyageur de passer a pied sec. Tous ces accidents divers, où l’homme retrouve son action sur la nature, ajoutent infiniment à la poésie de l’existence.

Les hommes n’avaient eu, en maints endroits, qu’à suivre les traces ou les indications des animaux pour établir le réseau des chemins. Dans les forêts tropicales, l’indigène utilisait simplement les trouées faites par l’éléphant, le tapir ou quelque grand fauve ; dans l’île de Java, le volcan de Gédé, au-dessus de Buitenzorg, eût été inabordable si les rhinocéros n’avaient frayé de larges sentiers jusqu’au bord du cratère. Dans le désert, n’est-ce pas aussi en observant les pas des animaux qu’on trouve la direction des fontaines et celle des gués fluviaux ?

En mer, les insulaires eurent d’abord à guider leurs barques sur le vol des oiseaux pour atteindre d’autres terres, et telle arête de montagne fût restée infranchissable si la ligne constamment suivie par les volatiles migrateurs n’avait indiqué nettement la position du col. Pour les chemins de la mer, les matelots se réglaient aussi par le vol des oiseaux, de même que par les vents réguliers dans les parages d’alizés, de moussons et de brises alternantes. La mer, avant la période de la vapeur, qui rendit le navire indépendant, eut, comme la terre, ses voies historiques tracées sur le flot mouvant[1].

Les monuments les plus anciens du travail de l’homme sont les sentiers : en comparaison, les plus vénérables amoncellements de briques retrouvés dans la Chaldée ou sur les bords du Nil ne sont que des œuvres d’hier. Frayées par les pas de tous, et composées en réalité de mille variantes légèrement distinctes, qui ont fini par se confondre, ces pistes doivent emprunter tel défilé, telle courbe de la vallée, tel épaulement de la colline et se développent entre ces points fixes indiqués par le relief du sol. L’ingénieur le plus savant ne pourrait mieux faire, et le sentier tracé par lui n’aurait certainement pas l’art de s’accommoder pittoresquement à la nature en contournant ou en surmontant les obstacles par de gracieuses sinuosités.

  1. Georg Schweinfurth, De l’Origine des Egyptiens.