Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
chemins, migrations des peuples

dit que le hasard avait présidé à l’éparpillement des groupes ethniques, tant les migrateurs avaient su triompher de l’espace dans leurs voyages de conquête, de fuite ou de simple caprice. Toute la moitié occidentale de l’Ancien Monde fut le théâtre d’un mouvement analogue lors de la rupture de l’équilibre romain. Ne vit-on pas alors, dans les Gaules, dans la péninsule d’Ibérie, aux limites mêmes du désert africain, des peuples venus du Caucase et du Tian-chan ?

Ainsi le réseau des routes — ici sentes d’escalade dans les montagnes, ailleurs simples pistes sur la roche dure, ornières approfondies des chemins creux, rubans entremêlés dans l’herbe des steppes, chemins liquides de la mer effacés par le vent — enserrait le monde entier, et nos aïeux, ces rudes marcheurs, sans connaître exactement la position respective des lieux, n’en savaient pas moins la direction à suivre pour atteindre les pays merveilleux dont ils avaient entendu la légende[1].

D’ailleurs, les peuplades primitives de contrées nombreuses avaient dû certainement s’élever à des notions géographiques suffisamment précises. Les voyageurs modernes ont souvent rencontré des sauvages qui, pour leur expliquer la route à suivre, ont su parfaitement tracer sur le sable ou sur le papier des cartes, d’aspect très artistique parfois, avec direction des routes et distances approximatives. Les meilleures cartes des pays encore peu connus, celles qui renferment le plus de renseignements, sont dues à des indigènes, géographes sans le savoir. Les Aruacos, déjà mentionnés, se disent « fiers d’être des cartographes », nous dit de Brettes ; les prêtres enseignent aux enfants la religion, la généalogie des familles et la géographie[2]. Un demi-siècle avant nous, presque toute la cartographie du Sahara, entre le Niger et les monts de l’Atlas, avait été faite par des nègres, des Arabes et des Touareg dessinant sur la pierre ou sur le sable[3]. Naguère, et peut-être encore de nos jours, les pilotes des Carolines et des îles Marshall possédaient des medos, véritables cartes composées de coquillages ou de cailloux représentant les îles, et de baguettes placées en divers sens pour indiquer l’équateur, le méridien, les journées de navigation, les courants et

  1. Edmond Demolins, Les grandes Routes des Peuples.
  2. De Brettes, Bull. Soc. d’Anthropologie de Paris, n° 3, 1903, p. 335 et passim.
  3. Henri Duveyrier, Les Touareg du Nord.