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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

Une fois armés du droit de punir, par malédiction ou par usage du glaive séculier, les prêtres ont même bientôt fait comprendre à leurs pénitents, par l’institution du « péché originel », que la faute mérite toujours une peine infiniment plus forte que celle du talion : d’aggravation en aggravation, elle finit par valoir au coupable une punition sans fin, le feu qui ne s’éteindra jamais ! Et, phénomène moral qui paraîtra tout à fait incompréhensible à nos descendants, les condamnés ratifiaient le jugement : ils croyaient en toute sincérité être vraiment dignes de la condamnation éternelle.

Quoi qu’il en soit, la religion « révélée d’en haut » ne peut aucunement se vanter de la conception première du juste et de l’injuste, conception dérivée de la morale.

Par l’effet de cette illusion d’optique qui se produit aussi bien dans le monde moral que dans le monde matériel, les hommes se trompent d’ordinaire sur le sens réel du mouvement lorsqu’eux-mêmes et l’ambiance se déplacent en sens inverse : ils se croient immobiles et s’imaginent que la nature est en fuite. Ils donnent un caractère de permanence dogmatique à leurs illusions religieuses en les contrastant avec la conduite de la vie qu’ils supposent essentiellement incertaine et dépourvue de morale rectrice. C’est le contraire qui est vrai : la morale existe par cela même que des individus, animaux ou hommes, vivent en société, s’aiment et s’entr’aident, tandis que les religions, ne se rapportant qu’à l’inconnu et ne vivant que d’hallucinations et d’hypothèses, sont un phénomène secondaire dans le développement général des hommes. Pourtant, il est bien vrai que dans le cours de leur durée les religions réagissent très énergiquement sur la conduite des hommes qui les professent : elles dirigent les passions humaines conformément à leurs dogmes et aux intérêts de leur culte, et ce qu’elles appellent spécialement du nom de « morale » est la pratique de la vie qui leur convient le mieux. Or les actes de l’homme varient infiniment avec la poussée de ses instincts et de ses attractions : ils oscillent entre les extrêmes, ayant pour mobiles, d’une part, l’amour et le dévouement sans bornes, de l’autre, la fureur de la haine et de la vengeance. « Que de maux a pu susciter la religion ! » dit le poète. Elle ajoute une férocité double à la férocité première, de même qu’à l’occasion elle exalte la tendresse jusqu’au délire. Avec les diversités des milieux, des conditions, des héritages de haine