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populations de l’arménie

plus tard, les marins grecs auraient modifié ce mot pour lui donner dans leur langue un sens de bon augure.

Il suffit de comparer les massifs irréguliers de l’Anti-Caucase et des monts dits vaguement Taurus arménien avec la longue chaîne du Caucase, étroite, difficilement abordable, pour comprendre combien le mouvement de l’histoire devait être différent dans les deux régions : les monts et les plateaux du district méridional, coupés de routes traversières, sont beaucoup plus faciles à franchir que le formidable rempart septentrional qui barrait la route aux peuples en marche.

Les terres hautes de l’Arménie — dont la partie la plus massive fait directement face au Caucase et profile ses chaînes parallèles ou ramifiées entre le plateau de l’Iran et le cours supérieur de l’Euphrate — ne peuvent être considérées comme un corps géographique ayant un caractère réel d’unité, mais on comprend bien qu’une nation dominant par le nombre, par la force ou par la valeur relative de sa civilisation ait tenté d’y former un empire, et de subjuguer les populations des plaines environnantes. Cependant il faut constater aussi que cette région est attaquable sur tous les points de sa vaste circonférence : de toutes parts s’ouvrent des brèches dans le mur de la citadelle.

Ainsi les populations enfermées dans les bassins de la Kura et du Rion, c’est-à-dire dans la large avenue transcaucasienne, pouvaient sur plusieurs points chercher une issue pour elles-mêmes ou pour l’excédent de leurs jeunes hommes. Une première porte facile leur était ouverte au sud par la vallée de l’Araxe ; ceux qui la remontaient, assez nombreux et assez vaillants pour en refouler les aborigènes, contournaient toute la moitié orientale de l’Anti-Caucase et pénétraient sans escalade jusqu’au merveilleux jardin d’Erivan, entre les deux bassins de l’Alagôz et du Masis, où ils pouvaient choisir, vers les cent sources de l’Euphrate, le passage qui leur paraissait le moins haut et le moins défendu. Pour les habitants des campagnes transcaucasiennes qui se trouvent vers le centre de l’isthme, le chemin d’attaque le plus favorable était celui qu’emprunte maintenant la route carrossable, par le col de Delijan et la rive occidentale du Gok-tchaï ; arrivés sur ces hauteurs, ils pouvaient soit descendre dans la plaine d’Erivan, soit gagner à l’ouest la région de partage des pentes, dont les Russes modernes ont pris soin de s’emparer pour en utiliser à leur profit les points straté-