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dieu collectif et national

des montagnes de Judée, les familles ambitieuses, désireuses de s’élever au-dessus de la foule des Israélites barbares, devaient rechercher sa protection. Baal, le « Seigneur » phénicien, apportait, avec tout son panthéon et tous ses rites, la religion de son peuple, et ce culte exerçait une attraction d’autant plus grande qu’il comprenait la glorification de la nature dans toutes ses manifestations de vie ardente et sensuelle. Les fêtes joyeuses du renouveau au pur sens symbolique dégénéraient facilement en orgies éperdues, et c’est avec la honte de leur conduite, avec le remords de s’être abandonnés, que les Hébreux revenaient aux rites sévères transmis par les aïeux. L’histoire du peuple juif est pleine d’événements terribles que les prêtres racontent comme des punitions de leur Dieu, encourues par la masse populaire coupable d’hérésies qui ne se distinguaient guère de la débauche. Si les Beni-Israël avaient fini par atteindre la mer dans leur migration et s’étaient fondus en un même peuple avec les Phéniciens, nul doute qu’ils ne fussent devenus également, dans le même milieu, des adorateurs de Melkart et d’Astarté.

Mais l’évolution politique des tribus d’Israël, qui, de nomades, se firent résidantes dans un pays non maritime, et se constituèrent une patrie aux frontières bien déterminées et avec des villes fixes, aux murailles puissantes, eut pour conséquence nécessaire de maintenir aux Juifs leur originalité de culte, tout en masquant pendant une durée de plusieurs siècles la vague religion du désert où se mêlaient l’animisme, le fétichisme, l’astrolâtrie, le polythéisme, avec tendance à la personnification de ces êtres multiples en un seul Dieu collectif. La constitution de leur existence territoriale en une patrie distincte introduisit un élément nouveau dans la vie religieuse des Juifs. La nation conquérante, toujours en lutte, se personnifia dans le ciel par un dieu de combat, se créa un champion d’une force surnaturelle, poussant jusqu’à l’infini toutes les passions de la race, jaloux, ardent à la colère, impitoyable aux ennemis.

En réalité Yahveh, le « Tonitruant, » probablement au début un dieu local du Sinaï[1], ne fut par la suite autre que la nation juive divinisée, et, par conséquent, ceux qui en l’adorant s’adoraient eux-mêmes cherchaient à l’exalter infiniment, à lui attribuer une puissance illimitée. Ils

  1. Paul Carus, Mémoire cité, p. 386.