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l’homme et la terre. — grèce

terres, incessibles et inaliénables. Mais c’est à d’autres, aux Laconiens, aux Hilotes, qu’il incombait de se fatiguer pour eux, de leur construire des demeures, de leur porter du pain et des fruits, de leur tisser des étoffes et de leur forger des glaives.

En échange de leur labeur, les Hilotes asservis n’avaient aucun droit et pouvaient s’estimer heureux d’être parmi ceux auxquels on laissait la vie. C’était fête de les enivrer, de les montrer ignobles et vomissants afin que les enfants, fiers de leur plus noble sang, apprissent à mépriser ces esclaves. Mais il fallait les haïr quand il y avait danger. On tuait les plus forts et les plus beaux, pour qu’ils n’eussent pas l’audacieuse pensée de se comparer avec leurs maîtres ; dans la guerre du Péloponèse, lorsque les Spartiates purent craindre un soulèvement de la foule asservie, ne mit-on pas au concours la dignité de citoyens, afin qu’il se fit ainsi une sélection des plus vaillants, puis, quand deux mille d’entre ces ambitieux de liberté se furent présentés, ne s’empressa-t-on pas, nous dit Thucydide, de les faire disparaître en quelque ténébreuse embûche ?

Ainsi tenus par leur propre destin, prisonniers de leur propre crime de guerre et d’oppression, qui les obligeait à guerroyer, à opprimer sans cesse, les « héros » Spartiates devaient, chez leurs voisins, invariablement choisir pour alliés les familles aristocratiques, ambitieuses comme eux de réduire le peuple à la soumission ou même à la servitude ; ils étaient condamnés au mal aussi bien qu’à l’ignorance. Dans le grand péril commun, lorsqu’on vit s’ébranler l’immense armée des Perses et des Mèdes pour venir écraser la petite Grèce, les Spartiates se firent plus d’une fois les alliés du despote étranger, et quand la domination de Lacédémone fut enfin brisée, ceux d’entre ses citoyens qui restaient s’adonnèrent surtout — digne fin de leur carrière — à la profession de guerriers à gages dans les bandes de quelque tyran.

D’ailleurs, leur sang non renouvelé par les croisements avait subi la décadence qui frappe inévitablement toutes les aristocraties : leur nombre, énuméré à diverses époques, témoignait d’un amoindrissement graduel, causé bien plus encore par le déclin de la race que par les pertes d’hommes dans les batailles. A la fin, ils n’étaient plus assez pour se risquer à combattre seuls ; ils ne pouvaient entrer en campagne qu’appuyés sur des alliés et des mercenaires. Ce n’en est