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l’homme et la terre. — grèce

développement, toutes les formes religieuses primitives qui se sont succédé parmi les hommes ; il devait aboutir également aux formes religieuses les plus élevées, puis nier son principe, pour retrouver, au delà des cultes, la morale humaine en son essence. Des forêts de Dodone, où l’on écoutait avec frayeur les grands chênes frémissants, aux jardins d’Academos, où se promenaient les philosophes en discourant de la sagesse, les chercheurs hellènes ont parcouru la route immense qui mené de l’instinct originaire à l’étude consciente des grands problèmes de la vie. Certainement, la religion monothéiste, concentrant tout l’idéal humain en une seule personne auguste, se manifeste dans la pensée grecque aussi noblement que dans celle des Sémites : « Le Jupiter de Pindare et de Sophocle n’était-il pas l’ennemi de la tyrannie, le protecteur des opprimés, le gardien du foyer, le vengeur de la justice, le refuge des malheureux ? »[1] Et dès que les différents peuples ont perdu les dieux spéciaux qui les distinguent, le grand Dieu lui-même ne s’évanouit-il pas au profit du bien et du beau qu’il représente ? De cité à cité, les Hellènes s’étaient reconnus comme fils d’ancêtres communs, cohéritiers d’une même langue et d’une même civilisation, créateurs d’un même type social. La notion patriotique, d’abord absolument étroite, confinée dans la même cité, s’étendit graduellement à tous les habitants de l’Hellade et des pays helléniens, puis, chez les philosophes, elle embrassa le monde entier. Jamais le principe de la grande fraternité humaine ne fut proclamé avec plus de netteté, d’énergie et d’éloquence que par des penseurs grecs : après avoir donné les plus beaux exemples de l’étroite solidarité civique, les Hellènes affirmèrent le plus hautement le principe de ce qui deux mille ans après eux s’appela « l’Internationale ».

L’atavisme qui, dans toute civilisation vieillie, plus ou moins faisandée de conventions et de mensonges, ramène toujours un certain nombre d’hommes vers l’amour de la nature primitive, cet atavisme dut se manifester aussi dans la société grecque, mais accompagné de toutes les conquêtes de la culture intellectuelle. On vit alors des philosophes, parfaitement armés pour la dialectique par la connaissance des choses et le mépris de tout préjugé, revendiquer en toute simplicité, mais avec une force invincible de conviction, leur affranchis.

  1. Michel Bréal.