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l’homme et la terre. — palestine

comme par ouï-dire ; la seule référence qu’ils en fassent se rattachant à leur histoire est cet événement héroï-comique appelé « le passage de la mer Rouge ». De même, le récit du déluge, tel qu’ils le reproduisent d’après les Babyloniens, prouve qu’ils ne savaient pas comment un bateau était construit : l’arche n’est pour eux qu’une grande boîte, et ils ignoraient ce que signifiait le lâcher de la colombe, lors de la baisse des eaux, ne se doutant pas que cet oiseau servait de boussole aux marins du golfe Persique et de la Méditerranée pour leur indiquer la direction à suivre vers la terre[1].

Une généalogie, probablement d’origine assyrienne, que reproduit avec variantes le dixième chapitre de la Genèse, nous dit quelles étaient les connaissances ethnographiques des Hébreux à l’époque où l’on réunit les divers éléments historiques et légendaires qui constituent les « Ecritures ». Ce « tableau des nations » est un document d’une valeur de premier ordre pour les ethnologistes, car il montre que les peuples avaient déjà conscience d’une collectivité humaine, d’une grande famille comprenant des éléments fort distincts les uns des autres.

Probablement trente siècles ne se sont pas écoulés depuis que cette énumération des peuples connus fut reproduite par les chroniqueurs juifs[2]. Cependant les bornes du monde semblaient alors plus étroites qu’on ne pourrait s’y attendre, puisque les Turcs ni les nègres ne sont mentionnés, quoique les uns et les autres eussent certainement pénétré dans l’horizon sémitique par quelques représentants[3]. Gog et Magog, dont certains commentateurs récents ont voulu faire, dans un intérêt de discussions politiques, les ancêtres des populations du nord de l’Asie, sont des noms ethniques applicables à des tribus caucasiennes ; et Cham, le maudit, que des fauteurs de l’esclavage, se vantant en même temps d’être bons chrétiens, ont désigné comme le père de tous les Africains, était tout spécialement dans l’esprit des Juifs le personnage représentatif de leurs ennemis, les Cananéens. Du reste, il est à croire que des raisons d’ordre symbolique avaient déterminé les copistes du tableau assyrien à supprimer quelques noms dont ils ne comprenaient pas l’importance et qui leur eût fait dépasser le nombre

  1. Von Ihering, ouvrage cité.
  2. Ernest Renan, Histoire du Peuple d’Israël, tome II, p. 179.
  3. Fr. Lenormant, Les Origines de l’Histoire, tome II, p. 204.