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journal de la commune

qu’il traîne péniblement derrière les cuisses. Cacochyme et catarrheux, il s’est levé en une ou deux occasions solennelles, ses jambes raidies l’ont porté tant bien que mal jusqu’à la tribune. L’Assemblé a fait un vaste silence, il a toussé — on eût entendu une mouche voler — derechef, il a craché, il a mouché — chacun attendait les paroles du vieillard se posant en arbitre de la France — entre quelques quintes de toux, on voyait sa mâchoire tomber lourdement et se relever péniblement : « Quoi ? qu’est-ce ? qu’a-t-il dit ?

Quel parti que celui qui a pareil chef ! Quels hommes que ceux pour lesquels Bergamotte est un héros !

Je viens de visiter le collège des Jésuites, rue Lhomond. C’était un établissement d’éducation célèbre. La congrégation y élevait en même temps que ses meilleurs sujets les fils de la riche bourgeoisie et de la vieille noblesse. On payait cher, mais on en avait pour son argent. Le garçon était largement et abondamment nourri, avec une moins mesquine économie que chez Maman l’Université, cette vieille hargneuse et radoteuse. On ne lésinait pas sur les arts d’agrément ni sur les amusements. Le premier devoir imposé aux professeurs était l’indulgence. Elle était d’ailleurs rigoureusement surveillée, cette indulgence, et les directeurs savaient le point précis jusqu’où elle devait aller. Les élèves de choix étaient mis à part pour quelque spécialité et recevaient de spécialistes des soins particuliers ; de cette façon, les Jésuites arrivaient à peupler de leurs élèves les grandes écoles spéciales, la Polytechnique, les Ponts et Chaussées, l’école marine de Brest ; par des procédés de greffage et de marcotage, un jardinier fait pousser des roses à cent feuilles sur un pied d’églantier, il n’est pas plus difficile à un instituteur qui sait son métier, de faire d’un garçon d’intelligence ordinaire un mathématicien ou un mécanicien très présentable. Grâce à leurs vastes ramifications et à leurs puissantes influences, il n’était pas difficile de colloquer leurs élèves médiocres dans quelque confortable place d’administration. Quant aux plus jobards, on avait toujours la ressource de leur faire épouser quelque élève du Sacré Cœur, de Picpus, des Oiseaux, ou tout au moins la grasse héritière de quelque épicier retiré, marguillier en sa paroisse. C’était une faveur que