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journal de la commune

attristée au contact de leur mâle et âpre volonté. Et puis, c’était sans doute visite d’adieu pour plus d’un. Nous sommes des marins dont le vaisseau fait eau pendant la tempête et, de quart d’heure en quart d’heure, coule toujours plus bas. Accoudés sur le gaillard d’avant, nous regardons les vagues qui du fond de l’horizon accourent en hurlant, écumant de rage. Sera-ce la première qui nous emportera dans le sombre bas-fond ou la seconde ? — Non, ce sera plutôt la quatrième qui pointe par là-bas… De même dans cette mer bouleversée de Paris… peut-être aujourd’hui nous faudra-t-il mourir… peut-être demain… peut-être après-demain… N’importe, ce n’aura pas été en vain… Et quand même ce serait en vain ! La nature est avare de fruits et prodigue de fleurs. Pour un arbre qui vient à bien, que de boutons avortés, que de fleurs brûlées et desséchées, que de fruits tombent avant leur maturité ou après leur pourriture ; aux graines que d’accidents, et parmi les jeunes pousses, combien sont brisées, combien sont broutées et foulées ! Il disait vrai, le pauvre Girondin qui s’écriait mélancoliquement avant d’être guillotiné : La Révolution est comme Saturne, elle dévore ses enfants ! — Oui certes, mais comme Saturne et Baal Moloch, elle les dévore pour les faire renaître ; elle fait les cadets avec la substance des aînés… On trouve que le jeu n’est pas profitable et qu’il vaudrait mieux naître une bonne fois pour rester toujours vivant ? Bah ! cela nous mènerait au régime de l’huître incrustée dans son rocher. Et puis, telle est la loi de la vie. Protester contre la loi, c’est protester contre la vie même, à laquelle nous tenons puisque nous la regrettons. Acceptons la nécessité, acceptons cette chose mystérieuse dont le côté lumineux se nomme la vie, et dont le côté sombre se nomme la mort : Puisque nous aimons la vie telle quelle, ne la querellons pas telle quelle ! Allons de l’avant, allons tant que ça pourra.

À Belleville, grand mouvement. On est sérieux, mais pas sinistre du tout. Il est certain que dans les bas côtés on distingue sans trop de peine un découragement amer et profond, mais ceux qui vont et viennent, se comportent virilement, animés, résolus, leur démarche est ferme et fière, leur parole nette et vibrante, pas bruyante du tout. Dans une compagnie qui allait se poster derrière une barricade,