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journal de la commune

ment, il faut se réfugier dans la cave, mais on ne peut s’empêcher d’en sortir de temps en temps pour aller voir.

Dans la cour, les lapins sautillent, effrayés, et broutent les feuilles qui tombent déchirées des arbres. Une poule affolée glousse à ses poussins qui piaulent, des ramiers se sont enfuis à tire d’aile du Jardin des Plantes, — les hirondelles ne nous ont pas quittés, mais dans cette tempête de mitraille, elles ne font entendre leurs petits cris joyeux, plus elles ne virent et girent de leur façon accoutumée. — « Quels sont ces oiseaux effarants, doivent-elles se demander, ces oiseaux qui passent invisibles avec des cris stridents et d’effroyables battements d’ailes en brisant les branches sur leur passage ? »

Coup de foudre, fracas atroce, le sol tremble, tout vacille et chancelle, on se voit enveloppé dans un nuage blanchâtre… Je suis vivant, pensai-je après le premier étourdissement, oui, je suis vivant, mais qui est vivant encore ? « Et, à travers une poussière obscure et suffocante, j’escalade des décombres, j’appelle, et quelques secondes après, je retrouve ma femme et mon fils. De nos amis, personne n’avait été tué ni blessé, trois ou quatre avaient échappé par un hasard quasi-miraculeux : ils étaient dans la proximité immédiate d’un bureau où tout avait été mis en miettes. Un obus avait pénétré la maison de part en part, brisant cloisons et meubles et, trouant une troisième muraille, avait dévasté la cuisine d’une habitation voisine. On retrouva le fond de l’obus, c’était déjà un lourd fardeau, du projectile entier un homme aurait eu sa charge. Le dégât qu’il a fait dans cette maison-ci est supputé de quatre à cinq mille francs, y compris les petits désordres accomplis par six biscayens, mais pour le piano, les fauteuils, les glaces, les rideaux, la bibliothèque, on eut à peine quelques paroles de regret, personne n’était tué ni blessé.

Et la barricade tient toujours. Nous admirons sa fière résistance. Est-ce par centaines, est-ce par milliers, que, depuis ce matin, on la crible d’obus ! et nous allons vers le soir. Mais voici pour la réduire enfin la canonnière d’Arcy, puis une seconde : l’une évolue par amont, l’autre par aval de la barricade. On frissonne en regardant ces monstres terribles, invincibles, invulnérables, arrogants, foudroyants, lâches puisqu’ils n’ont rien à craindre. Plats comme des