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journal de la commune

punaises d’eau, les boulets ricochent sur leur corps de bronze. Sauf des trous d’où s’échappent des balles assassines, leur épaisse cuirasse n’ouvre que sur le devant une gueule longue et formidable : chaque navire n’est qu’un canon. Que leur répondre ? Que leur opposer ? D’un coup, ils démolissent une muraille, de deux ou trois coups ils enfoncent une maison. Négligeant la barricade, les canonnières battent des pans de rues entiers à droite et à gauche, qui sont bientôt en feu. En une heure ou deux, la barricade n’est plus qu’un amas de pierres inutiles au milieu de décombres fumantes et, cinq cents contre un, contre les défenseurs du poste avancé de la Bastille et de la gare de Lyon, se ruèrent, bayonnette en avant, les soldats de la division Bruat, soutenus par la brigade De Roja, rive gauche, et rive droite les soldats de la brigade de Mariouse, division Faron. Victorieux, le drapeau tricolore fut hissé au-dessus d’un amoncellement de cadavres, dans une mare de sang.

Ai-je eu tort de ne pas reposer maintenant sous la bannière tricolore ? demanda encore une fois ma conscience.

Et après nouvel examen, je répondis : Non, je n’ai point eu tort. J’ai même fait mon devoir. Mais j’admire humblement ceux qui ont fait plus que leur devoir et qui gisent à côté, râlants, agonisants, ou écrasés sous leurs pavés. Ils ont condensé leur vie dans un acte suprême qui vaut mieux peut-être que tout ce que nous pourrons faire encore dans ce qui nous reste à vivre ».

Nous étions trente-cinq personnes, hommes, vieillards, femmes et enfants à couvert des obus, réfugiés dans la même maison hospitalière ; nous étions d’opinions diverses, les bourgeois en grande majorité. On eût dit un ramassis de bêtes fuyant l’inondation ou l’incendie et s’abritant du danger dans quelque île à jungles ou dans la même caverne. En temps normal ces fauves se poursuivent et s’entredévorent, mais, dans l’immense péril commun, ils font trêve à leurs guerres acharnées. De même ici. Dans l’instant, toute affirmation ou même toute allusion politique est soigneusement écartée. En inspectant les visages pâles de ces enfants consternés, de ces femmes mi-évanouies, est-ce qu’on peut penser : « C’est toi, bourgeois, ce sont tes pareils dont la lâche ignorance et le cruel égoïsme nous