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journal de la commune

envahie par des flots de soldats : « Vite, décidez ! Combattez, fuyez ou ralliez les bataillons qui tombent sur vous ! » Sur l’instant, il faut choisir, agir en héros ou en pleutre, accepter le combat, n’étant que dix contre cinquante, être honni et bafoué si l’on est vaincu, mais se mépriser soi-même si l’on ne se range pas du côté de la bonne cause avec toutes ses mauvaises chances… Encore si la bonne cause n’avait que de mauvaises chances, mais vue de profil et par derrière, la bonne cause a ses mauvais côtés, ses défauts et ses travers. Ce que nous appelons peuple, d’autres le qualifient de populace ; quand nous disons la masse des ouvriers et prolétaires, d’autres disent le ramassis des ivrognes et des fainéants, la vile multitude. Le peuple a juré qu’il ne voulait pas être le Lazare de l’Évangile, il s’est à moitié décrassé, mais il est toujours en guenilles, il est encore rongé d’ulcères. Nonobstant, Lazare, toujours affamé, ne s’est plus contenté des miettes qui tombaient de la table du riche, il a osé réclamer sa part du festin. Alors, le millionnaire M. Thiers a lâché sur lui ses valets et la meute de chiens qui naguère léchaient les plaies du misérable.

Vous survenez par aventure, vous tombez au milieu de la scène. Que ferez-vous ? Vous mettrez-vous du côté des gueux ou du côté des laquais ? Vous risquerez-vous où pleuvent les horions et insultes, affronterez-vous les crocs des bouledogues, les dents blanches des molosses furieux ? ou, vous écartant avec dextérité, ferez-vous au maître M. Thiers une humble révérence, et, saluant discrètement M Jules Favre, irez-vous au banquet du riche, vous asseoir à la place vide entre Madame Jules Simon et Madame Paul de Rémusat, en face du prêtre pharisien, l’impeccable M. Dufaure, lent au pardon, prompt à la colère ?


Autant est juste le décret de la Commune transcrit ci-dessus, portant la séparation de l’Église et de l’État et suppression du budget des cultes, autant est raisonnable le second décret ordonnant que désormais les services publics ne jouiront plus que d’un traitement modeste. Sages et même nécessaires que sont ces deux ordonnances, elles n’en sont pas moins grosses de conséquences effrayantes : tous les exploiteurs, ligués en bandes serrées vont maintenant