Page:Reclus - La Coopération, ou Les nouvelles associations ouvrières dans la Grande-Bretagne.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE

achats resteront dans la caisse sociale jusqu’à concurrence de la somme qui leur a été avancée. De cette manière, la Société, sans courir elle-même aucun danger, rend à tel ou tel futur actionnaire le service de le débarrasser de son arriéré chez ses fournisseurs ; et, d’un autre côté, il est probable que les gens honnêtes, et eux seulement, trouveront la garantie et l’appui d’un membre solvable ; personne ne se souciant de se porter caution pour un indigne. »

Dans les premières années, l’ouverture à Rochdale du magasin des Coopérateurs fut sans effet sensible sur le commerce en détail substances alimentaires. Mais, peu à peu, les petits magasins s’aperçurent de la concurrence ; ainsi l’on cite un pauvre épicier dont tous les voisins à 1 500 mètres à la ronde s’étaient faits clients de l’Association. Si les Pionniers n’avaient pas fait preuve d’un rare bon sens et d’un non moins rare esprit de conciliation, de fâcheux tiraillements auraient pu se déclarer. Quand les épiciers augmentaient les prix de leurs articles, les Coopérateurs suivaient le mouvement ; quand les épiciers abaissaient leurs prix plus que de raison pour ruiner leurs jeunes concurrents, ces derniers laissaient faire, coûte que coûte. Leur volonté était de faire un commerce avantageux aux prix courants ; ils ne voulaient engager aucune concurrence, ni s’y laisser engager. Ils déclaraient même ouvertement que, pour être sûrs de leurs affaires, ils devaient se ménager un certain profit, et même que, pour rester honnêtes, ils devaient faire des bénéfices. Si, par exemple, ils vendaient du sucre à perte, ils seraient obligés de se rattraper à la dérobée sur d’autres articles, ce qu’ils ne voulaient pas faire.

À la fin de 1850, les Coopérative Stores de Rochdale avaient 600 membres, 57 500 fr. de capital, un mouvement annuel d’affaires de 339 500 fr., sur lesquelles elles faisaient un bénéfice de 22 250 fr., soit 38, 70 % sur le capital social, et 6, 75 % sur le chiffre des transactions. L’on songea donc à étendre le cercle des opérations et à s’engager dans de nouvelles entreprises. À Leeds, de bons esprits avaient établi une minoterie très prospère qui fournissait d’excellente farine à bon marché. À leur exemple, les Coopérateurs voulurent doter Rochdale d’un People’s Mill ou moulin du peuple, et se mirent bravement à l’œuvre. C’est là que de nouveaux déboires les attendaient ; c’est là qu’ils firent les plus rudes écoles, qu’ils eurent le plus à souffrir de l’animosité des concurrents et de la défaillance de leurs propres amis ; c’est dans cette entreprise que le crédit de la Société reçut les plus graves atteintes, si bien que, plus d’une fois, le bruit de sa banqueroute se répandit par la ville, et que des intéressés accoururent au comptoir pour se faire rembourser l’argent qu’ils avaient engagé. Pour organiser leur entreprise, les fondateurs n’avaient pas fait à l’imprévu une part suffisante, ils avaient dû se lier à des hom-