Page:Reclus - La Coopération, ou Les nouvelles associations ouvrières dans la Grande-Bretagne.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

imprimerie coopérative n’a pas trouvé pour se constituer un nombre d’actionnaires suffisant.

Au moment où la crise cotonnière avait déjà commencé, Lord Brougham évaluait à une cinquantaine de millions le capital engagé dans les associations industrielles d’ouvriers. Au commencement de 1861, les trente plus importantes parmi celles-ci avaient émis pour plus de 25 000 000 de capital social, soit en moyenne pour plus de 800 000 fr. Voici comment s’exprimaient sur les manufactures coopératives M. Alex. Redgrave et sir John Kîncaird, dans leurs rapports officiels des mois d’août et de février 1861 :

« Les sociétés de Coopération se multiplient. Elles sont presque entièrement composées d’ouvriers. Chacune possède en moyenne un capital de 250 000 fr. divisé en actions de 125 à 250 fr. Elles émettent des obligations. J’ai appris que dans la seule ville de Bury, la somme requise pour faire marcher les manufactures de cette espèce, bâties ou à bâtir, ne s’élève pas à moins de 7 500 000 fr. — Ailleurs, les tisseurs se réunissent sous des hangars (scheds) communs, achètent du fil, louent des métiers et vendent leurs tissus à d’autres manufacturiers ou à des marchands ; ils y gagnent de n’avoir à risquer que des frais insignifiants de premier établissement, de travailler à leurs pièces avec les membres de leur famille, et de rester leurs propres maîtres. »

Un formidable élan avait été donné par le succès vraiment prodigieux de la filature de Wardle et Bacup. En octobre 1859, elle déclara un dividende de 44 % sur le capital versé. En juin 1860, elle paya 48 %. Six mois après, elle affirmait un nouveau bénéfice de 35 % qui représentait 50 % de bénéfices annuels. « À Bacup, dit M. Farn, les gains pour l’exercice 1861 ont été de 300 000 francs, cependant la crise cotonnière exerçait déjà ses ravages, et les temps étaient loin où le manufacturier recueillait 300 000 fr. de bénéfice net par chaque 200 000 fr. qu’il payait en salaire à ses ouvriers. »

Quand on apprit que certains associés coopérateurs avaient touché jusqu’à 60 % pour un argent qu’ils avaient emprunté à 5 %, l’enthousiasme gagna les esprits comme un incendie. En Écosse, de petits rentiers, des propriétaires, des industriels, des commerçants vendirent leurs maisons, leurs fonds de commerce, leurs outils, leur petit avoir, pour les investir dans quelque entreprise de coopération ; une fièvre de cupidité maligne s’empara des âmes. Les agioteurs qui, ne l’oublions pas, étaient pour la plupart ouvriers, se ruèrent sur Rochdale. Des spéculateurs se précipitèrent sur l’invention pour l’exploiter ; ils en firent une chose vile et malhonnête. Pour préserver l’esprit moral de leur entreprise et ne pas se laisser déborder par les mômiers les Équitables Associés avaient, comme on se le rappelle, suspendu pendant six mois l’admission de tout nouveau membre. L’exemple qu’ils avaient donné dans leur Store ne fut pas suivi dans la manufacture à l’égard de ces pourchas-