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LE PAIN

chant et la dureté des jolies quenottes blanches de la souris ou bien la ténacité, la force de résistance dont sont douées les racines du hêtre ou du chêne.

Autre sytème : mettez une paire de ciseaux dans une assiette profonde où vous verserez de l’eau tiède, puis une poignée d’avoine. Laissez reposer quelques instants. Après quoi, frottez avec l’avoine vos joues que vous n’essuierez point, mais laisserez sécher au soleil. Comprenez-vous ? Avec quelque réflexion, vous devinerez que les ciseaux sont des dents d’acier dont la trempe et le tranchant se transmettent à votre ratelier par l’intermédiaire de l’avoine dans l’eau tiède. Vous boiriez l’eau, vous mâcheriez l’avoine, l’effet n’en serait que plus certain.

Toute modeste qu’elle soit, la paille, la simple paille participe largement aux vertus du plus utile des végétaux. Nul doute que le chaume verdoyant, le stipe encore laiteux ne soient d’effet plus énergique, mais, telle quelle, la paille sèche fait encore merveille… « Une paille est assez forte pour qu’un homme s’y pende », prétend le proverbe. Comme véhicule et moyen de transmission, elle est à nul autre pareille, mettant en communication les hommes et les animaux, en rapport de sympathie les vivants avec les vivants, et même les vivants avec les morts.

On regrette d’avoir à dire que les incubes, succubes et cauchemars ont la faculté de se transformer en objets d’apparence inoffensive, tels que plumes de matelas et pailles de paillasse. Quand on est parvenu à empoigner un cauchemar — ce qui est loin d’être facile — on se trouve généralement ne tenir qu’une paille, mais ne la lâchez pas, cette paille, froissez-la, cassez-la en morceaux ; mieux encore, clouez-la à la porte de votre chambre, à l’instar des chauves-souris et des oiseaux de proie qu’on cloue à la porte des granges ; le cauchemar est une sorcière qui souffre en son corps tout le mal fait à l’objet. Souvent on a cru suffisant de le mettre sous clef dans une boîte soigneusement fermée, mais la paille finissait toujours par s’échapper à travers le trou de la serrure, redevenait esprit et réintégrait le corps de celui ou de celle qui l’avait envoyée.

Des sorcières qui se rendent à leurs soirées dansantes, les unes montent des pailles qui filent comme le vent à travers les airs ; d’autres caracolent sur leurs manches à balai, montures rapides autant que sûres et dociles. Mais elles ne sauraient franchir deux pailles en croix, force leur est de tourner l’obstacle ou de revenir sur leurs pas.