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le chamanisme.

se gorger de bruit, et s’enivrer de fracas ; avant d’aborder aux vérités éternelles, il leur a fallu s’immerger dans l’illusion. Sur une métaphysique, mélangée d’ignorance et de folie, ils ont construit un vaste et ingénieux système, qui rend l’aberration plausible, déraisonne avec méthode, prouve le prodige par le miracle, expose l’absurde avec logique, — le tout sous le nom de religion.

Frères ou cousins germains de ces angakout sont les jossakids indiens, les chamanes de Sibérie, les joguis et fakirs de l’Inde, les derviches tourneurs, les engaka Bantou, les piodjis australiens, les ascètes et sorciers tutti quanti. L’objet de leur ambition est l’extase, l’union avec Dieu, l’absorption dans l’Esprit infini, dans l’Ame universelle, — bref, la vie religieuse par excellence, dont les manifestations, réputées miraculeuses, rentrent toutes, malgré la diversité du détail, dans la catégorie du « Mal Sacré » ; relèvent de la physiologie névrotique, beaucoup étudiée, encore très obscure. Sans prétendre expliquer leur cas, il est facile de voir que ces malheureux ont travaillé à se faire une existence en dehors de l’hygiène et du bon sens. Pour se mettre au-dessus de la Nature ils l’ont violentée et irritée ; aussi en portent-ils la peine, et leur existence est souffreteuse autant qu’anormale. Ils ont, malgré leur apparence endormie et leur physionomie apathique, des lucidités singulières, des perceptions d’une acuité surprenante ; on dirait leur âme absente, mais ils éprouvent des sensations d’une délicatesse extraordinaire, d’inexplicables accès de force et de vigueur, des sensibilités et des insensibilités qui passent créance. En même temps ils croient aux persécutions de démons qui viendraient les tracasser et tourmenter, et même les égorger, si, par un serment terrible, ils ne s’engagent à leur obéir.