Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
93
révélation.

l’ôter : il découvre la momie noire et grimaçante, hérissée et hideuse ; il la contemple et en est contemplé, les deux orbites profondes lui lancent des jets de ténèbres. Le vivant salue en frottant son nez contre l’épine nasale du cadavre, puis se passe la main sur le ventre comme pour dire : « Que cela est bon ! » Surcroît de politesse, il se crache dans les paumes[1], barbouille de salive le visage du grand homme ; ensuite, il offre du tabac pour une ou deux pipes, et, peut-être aussi, le foie d’un ours, qui tue les chiens, empoisonne les hommes, les frappe dans le corps et l’esprit. À l’aspect de ces friandises, les lèvres parcheminées esquissent un rictus, les bâtonnets fichés dans la houppette du crâne branlent de-ci de-là : il est bien reçu. À la douteuse clarté de la mousse trempée dans une coquille d’huile, le maître et le disciple conversent la nuit durant. Le disciple interroge et le maître répond par des écritures phosphorescentes dans le cerveau : à question nette et claire, réponse lumineuse, mais l’hésitation n’obtient que des oracles ténébreux. C’est ainsi que l’esprit du docteur passe dans le jeune homme ; la transfusion est marquée par le transfert d’une dent que le successeur extirpe de l’auguste mâchoire, et cache aussitôt dans sa bouche. Cette dent, si un profane l’apercevait seulement, ou s’il entrevoyait la langue de la mystérieuse loutre, il tomberait aussitôt frappé d’aliénation. Même châtiment au profane qui aurait aperçu le jaspe du Graal, dans lequel saint Joseph d’Arimathée avait recueilli les gouttes du Divin Sang.

—  Mais pourquoi la dent du vieux sorcier, la dent précisément ?

  1. Choriz, Expédition Kotzebue.