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la grande catherine.

christianisme, et des galériens pour les initier à l’agriculture. Par le vaisseau les Trois-Saints, elle leur dépêcha une cargaison de forçats ; l’illustre amie des philosophes et des économistes n’imaginait rien de mieux en faveur des malheureux indigènes. Mais qui l’eût cru ? Les choses allèrent de mal en pis. En 1799, réorganisation de l’entreprise : afin d’accomplir une œuvre civilisatrice, s’il faut en croire la charte officielle, — afin de promouvoir le commerce et l’agriculture, — afin de faciliter les découvertes scientifiques, — afin de propager la foi orthodoxe. Pour quels objets, la Compagnie, confirmée dans ses droits et privilèges, fut transformée en représentante et déléguée de la Couronne, qui lui donna des soldats. Résister à ses agissements devenait un crime. Les Aléouts qu’on lui avait livrés comme sujets, elle les traita en esclaves ; sans leur donner aucune rémunération ni même les nourrir, elle les accablait de corvées. Quand ils apportaient les pelleteries exigées, ils n’avaient fait que leur devoir, et malheur à eux s’ils ne l’accomplissaient pas[1] ! Malgré les efforts des missionnaires, parmi lesquels le brave père Innocent Veniani, l’évangélisation n’avançait guère. Voilà qu’on imagina d’exempter les néophytes de toute redevance pendant trois années consécutives. Miracle ! Ce fut une Pentecôte nouvelle, la grâce s’épancha à flots, la vérité illumina les cœurs, les multitudes accoururent aux fonts baptismaux. Mais l’éternelle félicité était dédaignée, tant qu’elle ne donnait pas une couverture et un couteau pour arrhes ; avec le Paradis, on exigeait un paquet de ficelles et six hameçons[2].

  1. Von Kittlitz, Denkwürdigkeiten, etc.
  2. Golovnine.