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ignominie acceptée.

vigueur, et le temps les consacra. Des peuplades entières acceptèrent l’humiliation qu’on leur infligeait, et, en l’acceptant, oublièrent de la ressentir, finirent par s’en accommoder. L’habitude est une seconde nature. Depuis longtemps les Nagas ont oublié de s’indigner qu’on les ait assimilés aux lépreux : ils gesticulent, aboient à demi cachés derrière quelque haie, mendient la pitance qu’on jette et n’osent la ramasser que lorsque le passant s’est éloigné déjà. On prétend que l’ignominie peut aller plus loin, et que les jungles de Tchittagong sont le repaire de hordes tombées plus bas que beaucoup d’animaux, lesquelles ne connaîtraient plus l’association permanente des mâles et des femelles pour l’élève des petits[1]. Mais de cette assertion il est permis de douter jusqu’à production de témoignages circonstanciés.

Altière théorie que celle de fonder la domination sur la prédominance intellectuelle et morale ! Mais, quelque grand que fût leur orgueil, les Indous n’eurent jamais la pleine et entière conscience de l’absolue supériorité qu’ils affichaient : leur haine et leur mépris s’aiguisaient toujours de quelque crainte. Ils se figuraient que les indigènes, tous sorciers, redoutables par leur alliance avec les démons du sol, maléficiaient les gens, enguignonnaient et maraillaient le monde, pompaient à distance la force et la santé, se muaient en garous, cobras et crocodiles. Nul ne leur aurait ôté l’idée que le tigre, mangeur d’hommes, que le serpent qui pique mortellement, n’étaient pas de ces maudits et scélérats, se déguisant en bêtes pour faire leurs mauvais coups : « Les perfides, dit

  1. Faulmann, Die Entwickelung der Schrift.