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les kolariens du bengale.

Pour désencombrer le marché, tout en maintenant les prix, les pères de famille raréfient la marchandise ; pratiquant l’infanticide sur une large échelle, ils diminuent l’offre pour faire monter la demande. Ces sauvages possèdent leur cours d’économie politique, façon Mac Culloch et Ricardo. Que d’ennuis, cependant, dans cette industrie ! La chose achetée a des jambes, demande que l’acheteur lui agrée ; sans remords, la volage lâche un premier mari, court à un second. Le beau-père sera actionné en restitution. Mais il n’a plus la somme, l’a déjà fricotée en tout ou en partie. Sans doute, le vendeur est armé d’un droit de répétition contre son nouveau gendre ; mais celui-ci, tenant déjà le précieux objet, n’est aucunement pressé d’en donner l’argent. Pourtant, il promet de s’exécuter ; mais au moment où il va solder, voilà que la jeune femme — inconstante comme tant d’autres — s’acoquine à un troisième, et, qui sait ? à un quatrième… Pour surcroît de difficultés, les époux appartiennent à des tribus différentes, lesquelles, d’un moment à l’autre, peuvent entrer en collision. Un de ces maris à crédit est tué en guerre, — elles sont fréquentes et meurtrières, — adieu la créance ! Bien que les tribus répondent des dettes que contractent leurs membres, plus d’un a été ruiné par le fait d’une fille trop avantageusement vendue. Décidément, le commerce est trop aléatoire ; il vaut mieux y renoncer. Ces honnêtes éleveurs n’ignorent pas que les peuplades voisines, qui se défont de leurs sujets féminins à un prix purement nominal, sont à l’abri de ces inconvénients : bagatelle reçue, bagatelle rendue. Mais les patriarches de répondre : « Nous ne sommes pas gens à troquer nos filles contre un morceau de pain. »

En conséquence, certains clans aristocratiques ne pro-