Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98

occupé de vues incompréhensibles ; elles ne sont pas la clef de leur génie pour ceux qui les regardent vivre ; un contemporain, un ami même peut vous ignorer. Viennent ensuite les générations, pour elles, qui ne voient que la beauté du résultat, l’œuvre est faite, le procédé ne paraît plus et ne nous importe guère. La vie de l’homme n’est, après tout, que le procédé de l’artiste.

La pratique de la production d’art n’est guère aisée ; on la pourrait dire anti-louable, à moins que l’artiste ne coupe à son détriment douloureusement sa vie.

Il lui faudrait subir une inflexible règle dans l’emploi des heures de son temps, s’il veut être comme le commun des hommes et suivre les obligations mondaines de la société où il se trouve.

Il y déroge toujours par quelques traits que l’on remarque. Ceux qui l’aiment ou l’apprécient le tolèrent néanmoins dans son naturel tel qu’il est. Aux yeux des autres, il diffère un peu comme l’oiseau des îles : allure et plumage diffèrent.



Comme je me plaignais qu’il ne m’avait été jamais rien donné, rien offert, et quelqu’un m’ayant fait remarquer que j’avais, au cours de ma vie, négligé bien des relations et même des amitiés dont quelques-unes aujourd’hui sont puissantes, dans la politique ou ailleurs… C’est que j’éprouve de l’impudeur à formuler mon désir. Les choses devraient nous échoir simplement, naturellement, selon une loi de nécessité.

Une grosse part de gâteau est sur l’un des côtés de la table ; à l’autre extrémité sont les miettes : eh bien ! il devrait être tout aisé de s’asseoir au bon côté, à la satisfaction de tous et, comme par bienséance, à cet instant des jours où la lassitude nous est venue, où déjà, derrière soi, s’accumulent les témoignages de l’effort, les travaux et leur cortège de repentirs. Ah ! que de rides ils ont creusé sur notre front, et pour les revoir quelquefois avec une orgueilleuse surprise cependant ! Eh bien, c’est le