Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103

non d’un visage. Aucun peintre n’admettra cela; moi moins que tout autre.

À ce propos, j’évoque désagréablement le souvenir de cette matière sale et neutre de terre d’ombre dont il se sert, et d’où émergent ses Maternités : le propos qu’il a tenu là les infirme.

J’aimerais mieux proclamer avec Pissarro, que l’art de peindre réside, pour qui sait voir, au coin d’une table, dans une pomme. Peindre une pomme, quoi de plus bête! Et cependant pour faire de cette donnée si simple quelque chose qui s’élèvera à la beauté, il faudra que la peinture y soit tout entière, solide, souple, riche de substance, suggestive aussi jusqu’à ce luxe, cette grandeur d’y révéler la présence de l’homme ; une ambiance de pensées autour d’elle.

Et Pissarro a peint la pomme toute seule, sans tout le reste.



Bonnard, une bonne étoffe de peintre au service des tableaux de chevalet, tableau souvent spirituel. J’entends ici le mot spirituel dans le sens léger et souriant.



Peindre, c’est user d’un sens spécial, d’un sens inné pour constituer une belle substance. C’est, ainsi que la nature, créer du diamant. de l’or, du saphir, de l’agate, du métal précieux, de la soie, de la chair ; c’est un don de sensualité délicieuse qui peut avec un peu de matière liquide la plus simple, reconstituer ou amplifier la vie. en empreindre une surface d’où émergera une présence humaine, l’irradiation suprême de l’esprit. C’est un don de sensualité native. On ne l’acquiert pas.



1906. — Des limbes… des limbes opaques où flotteraient