Page:Remy - Les ceux de chez nous, vol 3, Pour les voleurs, 1916.djvu/12

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à l’avoine pour faire ça. Et pendant ce temps-là il y a Bayard le grand cheval moray qui a mis sa tête sur le dos de Blanc-pîd pour me regarder avec des grands yeux tout tristes. Il a des si beaux yeux, tout luisants avec des grands cils autour comme des noires épingles. Et il me fixe toujours comme pour parler ; il a l’air de dire : « Ne m’battez pas, ne m’battez pas ». Pourquoi que le grand cheval moray a l’air si triste ? Peut-être parce qu’il n’est qu’un cheval, et qu’il voudrait être un petit garçon comme moi. Et pourtant je n’ai pas si bon, allez !

Maintenant nous retournons : quand je sors, je vois que Bayard, au lieu de manger avec les autres, tourne encore sa tête pour me regarder partir, avec ses grands yeux qu’il remue comme pour me faire comprendre quelque chose, tout bas, qu’il ne peut pas dire. Je ne sais pas quoi, mais je deviens triste aussi.

J’ai vite monté les escaliers pendant que mon oncle met les derniers verrous ; j’ai si peur, je croyais qu’il y avait quelqu’un après moi qui allait me pousser. Et il me semble que la peau de ma figure et de ma tête est devenue trop petite et ça me tire. Je me déshabille vite en jetant mes affaires à terre, pendant que la lumière de mon oncle, qui monte tout doucement, fait des grands carrés clairs sur le plafond, puis sur les murs, toujours plus grands et plus larges.

Enfin il entre avec, il fait clair et je n’ai plus si peur.