Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/132

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de donner des tas de conseils. Mais Pierre se hâte d’interrompre une gamme de « ha » indifférents :

Je me suis fâché avec ma mère.

— Tu as bien fait.

— Je suis content que tu m’approuves, Arthur. Veux-tu dîner avec moi ?

D’un bonheur qui fusait, à chaque syllabe de la dernière phrase, bientôt il ne reste guère plus que d’une vague venue se briser contre des récifs. Bruggle, dans sa réponse, a été plus froid, plus dur que rocher : « Dîner avec toi ? Impossible. » Éclaboussé d’une écume triste, Pierre volontiers croirait devenus blancs ses cheveux, sa peau, ses yeux. Blancs comme sa voix : « C’est bien vrai, Arthur, tu ne peux pas dîner ? » La supplication de ces mots est-elle donc si touchante ? Pour une fois il sera dérogé au système « Monsieur Arthur ».

— Impossible de dîner avec toi Pierre, mais passe dans la soirée. J’aurai quelques amis. Pour ton repas, si tu ne veux ou ne peux le prendre seul, téléphone à Diane.

— Bon Arthur. Je te remercie, à tout à l’heure…

Le temps, pas même d’un silence, d’une hésitation et Pierre essaie un mensonge, coquetterie inutile : Tu sais, Arthur, je te téléphone de la cabine où pour la première fois… Un rire de femme l’oblige à constater que Bruggle a posé l’appareil sans même lui dire : « Au revoir. » Mais il ne veut plus, serait-ce en pensée,