Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/155

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de fond risquaient de l’emporter jusqu’à Bruggle. Enfin accroché à une précision maintenant, il ne risque plus de se perdre. Si Cloupignon n’existait pas, il faudrait l’inventer, aussi, le bénit-elle, souvenir imperceptible à la surface, écueil du salut qui, d’un choc, a obligé Pierre à reprendre notion de son passé, de sa vérité.

Dès lors, tout ce qui servait à Diane d’argument contre Pierre devient preuve d’affection. Elle a été folle de prendre chaque parole au tragique, de chercher des intentions dans le moindre mot. Là où elle a souffert d’un prétendu besoin de narguer il n’y avait que franchise maladroite. Toutes les précisions inutiles qui ne lui furent point ménagées, dès lors lui semblent des coups de sonde, par quoi Pierre torturé dans sa passion pour le félin transatlantique et sa tendresse pour la jeune fille, a voulu éprouver un sentiment dont il était fort naturel qu’il désirât d’autant plus se rendre compte qu’il y tenait davantage.

Diane n’a jamais ignoré ni feint d’ignorer l’amour de Pierre pour Bruggle, mais cet amour, ce soir, lui apparaît si bizarre, si peu en rapport avec celui qu’elle veut croire Pierre, qu’elle le juge une maladie, donc susceptible de guérison. Et puis qu’importe. Pierre ne l’aime-t-il pas, n’insiste-t-il pas :

— Alors ton Cloupignon ? Je veux savoir.

— Tu veux savoir.

— Oui, je veux savoir à quoi m’en tenir.