Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/164

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Plus tard peut-être, lorsque nos âmes se seront répandues hors de la chair qui les limite, plus tard, peut-être nous sera-t-il permis de nous confondre dans un bonheur définitif, mais, pour l’heure sur ce globe d’attente, avoue que tu es bien forcée de n’avoir que mépris pour ceux que satisfont des piètres joies sous la lampe, les pieds dans les pantoufles et voilà l’horrible contradiction, ces piètres joies, jamais pourtant, et même au plus fort de ton amour, tu n’as eu la force d’en souhaiter d’autres. Moi-même Diane, moi-même, qui voudrais me soûler d’agonie, moi-même qui passe ma vie à me répéter que j’aime en Bruggle les seuls périls possibles, pour trente jours de tranquillité avec Bruggle, je donnerais mon âme. À noter d’ailleurs que je n’attendrais pas une semaine pour le juger insupportable s’il cessait d’être l’animal sauvage dont j’ai peur et que je tente par tous les moyens d’apprivoiser.

Diane je te demande pardon non de ces paroles, mais d’avoir tant tardé à les prononcer. Je viens seulement de comprendre enfin que si tu tiens à moi c’est que tu sais que je ne suis pas pour toi. De cela, l’un et l’autre nous avons souffert, mais, si tout avait été facile entre nous, quels médiocres aurions-nous été. Hélas ! nous n’avons même pas le droit de tirer orgueil de nos souffrances, car si nous avons certaine notion de la grandeur c’est malgré nous, et, ni toi ni moi sans une fatalité que d’ailleurs nous n’avons cessé de maudire, ni toi,