Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/194

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Lorsque le piano mécanique s’arrête, c’est à se demander comment on va séparer les danseurs. On fait cercle autour de leur couple immobile et toujours uni. Les dents de Totor ne veulent pas quitter une proie dont Pierre sait l’odeur exacte. M. Arthur, les yeux illimités, soupire. L’obstination amoureuse du petit chiffonnier le flatte, et tandis que ses jambes serrent, à les casser, d’autres jambes, sa poitrine s’offre, victime heureuse à des ongles. Les invités ne perdent rien du spectacle. La Roumano-Scandinave ne se connaît plus d’enthousiasme. Elle sacre Armand l’Eventré arbitre des élégances, et pâmée : « Est-ce beau mon cher ? vous pouvez être fier de votre Totor, une véritable petite merveille. » L’Américaine aux boucles d’oreilles rit très fort, envoie de grandes claques amicales aux deux garçons, les encourage comme s’il s’agissait d’un jeu : « Allo, boys », tandis que Lucas, épaules hautes, écrase des mots d’impatience, Pierre seul à boire dans son coin, est heureux de sentir que Lucas ne partage ni la joie ni la curiosité des autres. Tristement, il se détache de tout, de tous. Cette journée décidément est celle des liquidations : Mme  Dumont-Dufour, Diane, la haine, l’amitié, maintenant, Bruggle, l’amour. Encore quelques gouttes d’alcool et ce sera l’absolu dans l’indifférence. Donc, la Liberté. Sans doute aussi l’ennui. L’ennui qu’importe. La liberté, vive la liberté. Pour Bruggle la liberté, c’est de se faire