Page:René de Pont-Jest - La Duchesse Claude.djvu/226

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Pierre, on vous avait chargé de proposer à Mourel de faire de faux passeports ?

— Oui, monsieur, répondit Rabot, mais je savais bien qu’il n’accepterait pas. Néanmoins, je ne pouvais pas refuser de lui en parler, on m’aurait fait un mauvais parti, ce qui ne manquera pas d’arriver maintenant, car on nous accusera d’avoir fait l’arçon, mangé le morceau, dénoncé les camarades, quoi !

— Ce n’est pas de vous qu’est venue la dénonciation, et je vais vous mettre tous les deux à l’abri de la rancune de ceux dont vous avez eu la sagesse de ne pas vous faire les complices. Il y a quatre ans, vous, Rabot, que vous êtes ici, et votre conduite est bonne. Quant à vous, Mourel, votre refus d’aider à une évasion mérite également ma bienveillance. Allez, je vais donner des ordres à votre sujet.

Les deux amis balbutièrent un remerciement, saluèrent et partirent.

Le soir même, ils quittèrent leur escouade pour passer dans les éprouvés.

La catégorie des éprouvés, au bagne, c’était le purgatoire après l’enfer !

Ceux qui en faisaient partie cessaient le plus souvent d’être accouplés et ils étaient casernés, à Toulon, sur un vieux vaisseau amarré entre l’arsenal et le quai. De là, pendant les heures de loisir, ils pouvaient suivre des yeux, à terre, les promeneurs et, dans l’avant-port, le mouvement des embarcations.

C’était déjà pour ces malheureux comme un semblant de liberté, celle du regard.

Ce changement dans sa situation modifia du tout au tout les idées de Mourel.