Page:René de Pont-Jest - Le N° 13 de la rue Marlot.djvu/186

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des amis de M. Rumigny lui faisait observer que sa fille venait d’avoir dix-huit ans, qu’elle était jolie et qu’il faudrait bientôt songer à la marier, l’ex-négociant le repoussait-il avec colère, à moins qu’il ne répondit en haussant les épaules et avec un sourire d’une fatuité paternelle inexprimable :

— Vous êtes fou comme les autres : ma fille n’aime et n’aimera jamais que son père et la musique italienne. Un mari ! nous avons bien le temps d’y songer. N’est-ce pas, Marguerite ?

La jeune fille, ne sachant que dire, baissait la tête en rougissant et se jetait dans les bras de son père, qui prenait cet élan pour une réponse affirmative. Ce qu’il y avait de profondément triste, c’est que le bonhomme était sincère en parlant ainsi, c’est qu’il était convaincu.

Marier Marguerite ! Se priver au profit d’un autre de sa présence, de ses soins, de ses caresses ! Ne plus l’avoir là, près de lui, comme un ornement ! Ne plus entendre sa voix, ne plus répéter avec elle les morceaux qu’il devait jouer avec ses amis ; ne plus la promener orgueilleusement à son bras, faire en sa compagnie ces voyages durant lesquels il était l’objet de tous les regards et de toutes les jalousies, car on la prenait pour sa femme ! Vivre seul ou vivre sous le même toit avec le mari qu’il