Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/70

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« Swift prit la barre et nous commençâmes notre poursuite sur les flots.

« Sir Edward, qui s’était embarqué avec moi, ne disait pas une parole.

« Sa femme, qu’il avait crue morte, qu’il n’avait retrouvée que pour la voir sur le point d’être sacrifiée sous ses yeux à une divinité sanglante, était toujours aux mains de ses ravisseurs, qui certainement allaient se venger sur elle de leur défaite.

« Le jour commençait à poindre.

« Nous aperçûmes distinctement, à un quart de mille, une pirogue tellement surchargée que sa course était lente et embarrassée.

« Nous fîmes force de rames pour courir sus aux Étrangleurs, et nous arrivâmes bientôt à une portée de fusil de leur embarcation.

« Les Thugs s’étaient parfaitement rendu compte de notre intention et ils nous reçurent par une décharge de leurs fusils. Heureusement aucune de leurs balles ne porta, et avant qu’ils eussent pu recharger leurs armes, entraînés par le rapide courant du fleuve, nous étions sur eux, le pistolet au poing.

« Ce fut un effroyable carnage. Nous tirions à bout portant ; chaque décharge faisait tomber lourdement dans la barque ou précipitait dans le fleuve plusieurs misérables.

« Ils poussaient des cris effroyables, et, dans leur rage, faisaient siffler dans le vide leur terrible mouchoir.

« Tout à coup, une violente secousse fut imprimée à notre canot : c’était un Thug qui s’était jeté à l’eau, avait laissé passer sur lui notre embarcation, et, nous prenant par l’arrière, tentait de nous faire chavirer.

« L’oscillation avait été assez forte pour qui nous perdissions l’équilibre ; un coup de sabre bien asséné coupa les deux bras de l’Hindou, qui disparut dans le Palaur et dont les mains restèrent accrochées comme un trophée sanglant à notre canot.

« Cette diversion d’une minute avait suffi malheureusement pour que la pirogue des Thugs nous échappât.

« Allégée de la plus grande partie de son monde, elle filait maintenant avec une grande rapidité.

« Mais dans leur empressement à fuir, les Étrangleurs avaient oublié les dangers du Palaur. Ils donnèrent contre les rochers qui barrent le fleuve à cet endroit, et nous vîmes bientôt leur canot se briser et s’abîmer dans les flots.

« Pas un seul de ces misérables n’échappa à la mort.

« Bientôt nous arrivâmes nous-mêmes au milieu des rapides, où le même sort nous attendait peut-être.

« Les eaux, tourmentées par les bas-fonds, arrêtées dans leur course,