Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/109

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Ces réflexions l’ayant conduite jusqu’à l’heure du dîner, il lui fallut bien descendre pour prendre sa place à table.

M. de Ferney, dont la physionomie était bouleversée, bien qu’il s’efforçât de paraître calme devant ses enfants, lui tendit affectueusement la main ; mais il eut un frisson lorsqu’il sentit la main glacée de Jeanne ne pas répondre à son étreinte.

Louise et Berthe, les yeux rouges, s’approchèrent de leur institutrice, qui les embrassa machinalement. Raoul, au contraire, ne vint pas au-devant d’elle. On eût dit que, malgré son âge, il pressentait plus vivement encore, depuis la mort de sa mère, que cette femme devait être fatale aux siens.

Cette conduite de l’enfant lui valut un mauvais regard de Jeanne et précipita sans doute la décision à laquelle elle s’était arrêtée, car, aussitôt après le repas, faisant comprendre à M. de Ferney qu’elle désirait être seule avec lui, il renvoya ses deux filles et leur frère.

Mlle Reboul dit immédiatement au père de ses élèves :

— Il faut que je vous parle, mais pas ici ; personne ne doit entendre ce que j’ai à vous communiquer.

— Remontez chez vous, Jeanne, répondit le magistrat, fort ému du ton de la jeune fille ; dans une heure, j’irai vous rejoindre.

— Non, pas chez moi, reprit-elle tristement.

— Pourquoi ?

— Cela fait partie de ce que j’ai à vous dire.

— Alors, passons tout de suite dans mon cabinet ; il n’y aura là rien que de tout naturel.

— Soit !

Mlle Reboul laissa M. de Ferney sortir le premier et le suivit.

Comme s’il s’attendait à quelque pénible confidence, qu’il désirait au moins retarder le plus possible, le malheureux s’était laissé tomber sur un siège et gardait le silence.

La tête baissée et le front dans ses doux mains, il ne voyait pas le regard étrange avec lequel la jeune femme le fixait ; mais on eût juré qu’il le sentait peser sur lui, car il avait des soubresauts nerveux, comme s’il subissait l’influence d’un courant électrique.

Sous un de ces chocs, il releva les yeux.

Jamais la terrible charmeresse n’avait été plus belle.

Sa robe noire, sans le moindre ornement, dessinait comme un moule la grâce de sa taille et l’élégante richesse de son buste ; son teint, pâli par l’émotion, rendait ses lèvres carminées plus sensuelles encore, et le feu de ses grands yeux, aux paupières légèrement estompées, n’avait jamais brillé d’un pareil éclat.

M. de Ferney en fut ébloui.

Les mains étendues vers elle, il semblait la supplier de garder le silence ; mais,