Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/120

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— Oui, il est tombé dans le couloir. Ça ne sera rien, répondit-elle. D’où viens-tu, toi ?

— Tu comprends, après avoir assisté à la chose de ce matin avec les amis, nous n’avons pas eu le courage d’aller à la besogne. Il est bien mort tout de même ! N’est-ce pas, Gustave ?

Claude s’adressait à celui de ses camarades qui l’avait suivi dans la pièce où la fille de Méral venait de recevoir sa sœur.

— Oui, répondit d’une voix sombre l’individu que Manouret appelait Gustave et qui était vraiment Justin. Il n’a nommé personne. C’était un homme ! Pauvre Pianori !

— Ah ! tu pourrais bien ne pas parler de ça devant moi ! fit sèchement Françoise en comprenant ce que voulait dire l’ouvrier.

Ce dont il était question lui rappelait, en effet, d’horribles souvenirs.

Claude et ses amis venaient d’assister à l’exécution du misérable qui avait tenté d’assassiner l’Empereur aux Champs-Élysées, un soir qu’accompagné des colonels Valabrègue et Ney, il se dirigeait vers le bois de Boulogne, et la fille Méral se reportait par la pensée au jour où son père, lui aussi, était monté sur l’échafaud.

Or, Pianori avait été, à plusieurs reprises, le client de l’hôtel de Reims, où on ne le connaissait que sous son nom d’emprunt : Liverani.

Ses opinions politiques en avaient fait l’ami de Manouret, ainsi que celui de ses camarades, et ces hommes, après avoir suivi les audiences du procès de l’Italien, avaient, voulu accompagner jusqu’à sa dernière étape d’infamie celui que leur aveuglement politique ou plutôt leurs instincts mauvais leur faisaient considérer comme un héros.

— Tu as raison, répondit Claude, en se souvenant que cet événement rappelait à sa maîtresse une triste époque ; parlons d’autre chose.

— À propos, dit tout à coup Françoise, ce matin, un personnage dont la mine ne m’a pas semblé bien catholique, est venu demander si ce n’était pas ici que logeait un nommé Julien ; non, pas Julien, Justin ; oui, Justin Delon.

— Que dites-vous : Justin Delon ? répéta Gustave, en devenant livide.

— Tais-toi, dit Manouret à son ami, en le rassurant du regard ; Justin Delon, est-ce que tu connais ça ?

— Non, fit le jeune homme.

— Et toi, Claude ? demanda la cabaretière, qui s’était bien aperçue de l’émotion de l’étranger.

— Moi non plus, répondit l’ouvrier. Tu dis que cet individu marquait mal ?

— Hum ! ça flairait la rousse. Du reste, tu le verras, car il doit revenir !